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BLANCHE AU FIL DES JOURS, un premier roman de mains de maître

Stéphane Aucante s’est fait connaître en tant qu’auteur à travers ses livres sur la Palestine ; il en a écrit trois en autant d’années, après trois autres années passées en Cisjordanie de 2015 à 2018 ; au cœur de cette « trilogie palestinienne », un émouvant carnet de bord personnel, PALESTINE BY NIGHTS, déjà chroniqué ici. Chez le même éditeur, Dacres, Stéphane Aucante sort en cette fin d’été son premier roman, Blanche au fil des jours.

Blanche a 80 ans en 2020. Atteinte d’un Alzheimer léger, elle vit en EHPAD, à Niederbronn-les-Bains, Alsace, entourée de Qouskazah, une aide-soignante palestinienne (très touchant personnage et lien malin avec les premiers livres de l’auteur), de Charles, un ancien comédien qui ne manque pas une occasion de transformer le jardin de l’établissement en théâtre, et de Simone, ancienne amie coiffeuse rongée, elle, par un Alzheimer « lourd ». Quel adjectif employé quand surgit un certain coronavirus, une pandémie galopante et un premier confinement mortifère ?

Blanche ne se pose pas vraiment la question car elle oublie les mots, surtout ceux qui ne comptent pas vraiment. Ou bien, pour contrer la maladie, elle se force à se souvenir de certains, à coups de listes alphabétiques qui musclent sa mémoire : celle des pires injures qu’elle connaît est à hurler de rire. Car oui, BLANCHE… est un roman drôle, poétique et enjouée, malgré l’endroit où elle il se déroule et l’histoire qu’il raconte ; celle-ci tient quasi toute entière dans les deux premiers mois du premier confinement en France.

Cette drôlerie, ce regard jamais pesant sur des situations qui pourtant le sont — et de plus en plus à mesure que la crise sanitaire du printemps 2020 se durcit — tiennent d’abord au caractère même du personnage de Blanche. Fille ainée d’une famille rurale (très) nombreuse de la France d’après-guerre, elle prend le temps de revenir sur sa jeunesse dans les premiers chapitres du livre ; ils réservent ainsi quelques scènes hautes en couleurs et font naître un autre personnage secondaire inoubliable, le professeur Pron, passionné des beaux livres qui va faire l’éducation littéraire de sa bonne-à-tout-faire — Blanche donc — et l’aider à suivre des études universitaires d’archiviste. Des décennies plus tard, l’esprit de logique et de classement qui en a découlé est l’arme que l’ancienne fille de ferme et femme de maison de utilise pour lutter contre la maladie, et ce avec un panache et un entêtement qui permettent d’éviter le pathos et le misérabilisme des livres sur la vieillesse. Ce ton unique et vif est l’un des tours de force de BLANCHE…, d’autant que, Covid et confinement oblige, le roman se confronte à des scènes encore plus crues que s’il s’était contenté de narrer la fin de vie d’une vieille dame en EHPAD.

L’humour de BLANCHE…, sa volonté absolue de ne jamais sombrer, de ne jamais laisser ses personnages sombrer, de se tenir constamment à côté d’eux, avec bienveillance et réalisme, tient également à son jeu sur la langue. Car, à cause de son Alzheimer, Blanche ne perd pas seulement certains mots, elle en déforme d’autres ; et comme tout le livre est écrit selon son point de vue, c’est l’écriture elle-même qui voit ses mots glisser, s’empêtrer, donnant lieu à des jeux savoureux ou poétiques, à des effets de contre-sens, voire de non-sens qui lorgnent du côté de la joke anglaise et des Monty Python. Rare en tout cas qu’un roman, surtout un premier, cherche ainsi, et réussisse, à relier de manière aussi fine, et jouissive pour le lecteur, ce qui est raconté et la manière de le faire.

Il le fait aussi en réduisant peu à peu le vocabulaire de son texte et la longueur de ses chapitres, puisqu’à mesure que le confinement dure, l’univers de Blanche se rétrécit. Grâce à cette mise en forme là, une vibrante et sourde émotion gagne peu à peu, sans qu’on s’en rende vraiment compte, jusqu’au chapitre final qui, en deux pages, prend à la gorge et tient du tour de force. Au milieu de « tout ça » — l’enfermement dans les chambres, certains résidents qui décèdent, les cris et les larmes des familles « confinées » à l’extérieur — Blanche se paye le luxe de connaître une dernière histoire d’amour. Ce surgissement constitue un autre tour de force car elle ne tombe pas amoureuse de « n’importe qui » ni « n’importe comment » — mais n’en disons pas plus et laissons le charme de la découverte opérer. Reste que cette renaissance de Blanche au plus vieux et plus beau sentiment du monde n’est pas pour rien dans l’émotion qui vient grossir les rires et les sourires qu’elle fait naître à chacun de ses pas, au fil de jours qui s’égrainent au rythme des (mauvais) chiffres et les (très) mauvaises nouvelles venues du dehors s’accumulent.

Ce lien constant avec l’actualité permet parfois à Blanche de laisser libre cours à ce qu’on pourrait appeler son mauvais esprit, ou plutôt sa manière à elle de nous dire qu’à son âge, on ne lui la fait pas. Ses coups de griffe à la macronie sont particulièrement savoureux et les effets du cluster de Mulhouse de février 2020 jusque dans l’EHPAD de Nierderbronn-les-Bains (100 kilomètres plus au nord en Alsace) font naître sous la plume de Stéphane Aucante ses pages les plus tordantes. Mais sous l’anecdote et les références à tout ce dont on se souvient encore — la hausse des violences domestiques, les bévues de Boris Johnson, les malades transportés en train —, l’auteur dessine avec constance un portrait simplement et profondément humain, et touche à l’universel lorsqu’il partage les réflexions de « sa » Blanche sur le fonctionnement de sa maladie et de sa mémoire, sur le déroulement de sa vie et le sens qu’elle a eu. Rare là encore qu’un même livre mêle à ce point sens de la comédie (et parfois du drame) et analyse quasi philosophique de ce vivre, vieillir, mourir, peut vouloir dire, avec ou sans virus. Ultime tour de force donc.

BLANCHE AU FIL DES JOURS vient de paraître aux éditions Dacres, www.dacres.fr ; il a été finaliste du Prix Jean Anglade du Premier Roman 2021.

 

 

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