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Point de vue

Euphoria : distorsion de l'espace-temps entre 2 générations

A travers le monde, le récit d’Euphoria a touché la Génération Z par la justesse des émotions retranscrites à l’écran. Leur mise à nu a donné vie aux sentiments que beaucoup de jeunes partagent mais dont ils ne se parlent pas, ou mal. L’un des enjeux les plus cruciaux pour cette série est de réconcilier la nouvelle avec l’ancienne génération, selon son créateur Sam Levinson. (1) En effet, bien souvent la Génération dite « Z » n’est pas prise au sérieux. Leur présent est fragile. Leur futur indiscernable. Et ça : personne ne voulait le comprendre.

Cette incertitude, l’appréhendent-ils plutôt telle une fin en soit déjà muselée ou telle une opportunité de réussite excessive ?  C’est aux teintes mauves et aux notes planantes de Labrinth qu’Euphoria raconte l’histoire de cette génération.

« The Black Parade » de la Génération Z

« Tout se perdait dans le brouillard. Le passé raturé, la rature oubliée et le mensonge devenait vérité. » : Georges Orwell, 1984.

Euphoria est désormais devenue une série emblématique de la Génération Z, à bien des égards. Jugée très crue par moments, elle montre des images dérangeantes, violentes voire choquantes. Elle raconte la problématique de plusieurs américains de la nouvelle génération, qui cherchent à trouver leur place au sein de la société. Dans cette logique, elle s’implante dans la veine des séries type « Skins », mais ajustée à la jeune génération d’aujourd’hui.

La série Euphoria, créée par Sam Levinson, a diffusé son premier épisode le 16 juin 2019 sur la chaîne américaine HBO. Elle est pourtant issue d’une autre série, au nom éponyme. En effet, Euphoria est à l’origine une mini-série israélienne, sortie en 2012, créée et écrite par Ron Leshem.  

L’histoire est narrée (de manière plus ou moins fiable) par Rue, une adolescente de 17 ans, bipolaire et toxicomane, incarnée par l’actrice Zendaya. La série suit la lutte de Rue dans son quotidien ; qu’il s’agisse de son addiction aux drogues, de ses déboires amoureux, de sa relation avec sa mère et sa sœur, du deuil de son père, etc…

A ses côtés, s’entremêlent les vies de nombreux personnages aux problématiques diverses et représentatives du quotidien des jeunes d’aujourd’hui. Bien plus qu’il n’y paraît. Des problématiques liées à :

  • L’identité - On y rencontre ainsi Jules, interprétée par Hunter Schafer (pour le premier rôle de sa vie), une jeune femme transgenre à la personnalité rayonnante et à la spontanéité déroutante.  

 

  • La sexualité et ce qu’elle représente, ce qu’elle induit – Un sujet abordé par Maddy, incarnée par Alexa Demie, lorsqu’elle explique que la sexualité est un spectre : « sexuality is a spectrum ».

 

  • L’hyper-sensibilité de la société - C’est le personnage de Colman Domingo, Ali, qui évoque le sujet lors du premier épisode spécial « Trouble Don’t Last Always » diffusé le 7 décembre 2020 : « Je n’aurais jamais pensé assister à autant de révolutions dans ma vie, je t’assure » / « I tell you, I never thought I’d see so many revolutions in my entire life.”. Euphoria souhaite là mettre en lumière l’atmosphère pesante constante dans laquelle les jeunes grandissent en ce moment même. Soulever la vitesse à laquelle tout devient désormais « réac’ » et motif de révolution, à tort et à travers.

 

  • Les troubles mentaux - Zendaya, dont le personnage est bipolaire, exprime la triste réalité d’une maladie banalisée, à savoir la dépression. Elle dit : « Même si vous savez que vous êtes dépressif, vous ne pouvez pas vous empêcher d’aggraver votre état » / « Even though you know you’re depressed, you’re unable to stop yourself from getting worse ». Euphoria s’attaque alors à un sujet délicat, encore peu médiatisé à sa sortie en 2019, mais pourtant bien réel : l’inquiétante multiplication d’individus dépressifs chez les jeunes. En effet, les syndromes dépressifs chez les jeunes de 15-24 ans se sont dangereusement aggravés en 2020. Il y a eu une augmentation de 22% de « prévalence de syndromes dépressifs […] contre 10,1% en 2019 » (2), en France. Et, cette prévalence était d’à peine 5% en 2014. Ce mal-être chez les jeunes, il existe vraiment et Euphoria joue un rôle d’émetteur SOS à ce sujet. La série est certainement un peu cet ami qui leur dit : « Oui, vous avez le droit de ressentir ça, et rassurez-vous vous n’êtes pas les seuls ».

Ce que traduit Euphoria, c’est que la Génération Z semble être une génération très incomprise. Des parents qui ne saisissent pas les codes de leurs enfants et qui ne conçoivent pas leurs doutes, leurs peurs, leurs ambitions. Car la vie des jeunes de 20 ans il y a 20 ou 30 ans n’a plus rien à voir. Leur jeunesse à eux n’a pas rencontré le contexte sanitaire, la guerre raciale d’aujourd’hui, l’omniprésence de la technologie, des réseaux sociaux, d’une exubérante vie parallèle en ligne ou encore la pression d’un présent climatique alarmiste ou d’une instabilité économique sans visibilité d’un avenir clair et rassurant, etc… Et dans ce « on vous voit, on comprend » que la série véhicule, ces jeunes se reconnaissent enfin et ont l’impression qu’on leur donne un peu de crédibilité.

 

L’opportunité d’aujourd’hui : leur espoir pour demain ?

C’est dans la peur de la solitude que ces jeunes se construisent, dans leur obsession d’être apprécié et aimé. Ils n’aspirent pas non plus tous à une vie simple, comme ont pu se satisfaire d’un métier modeste les générations d’avant par exemple. Ils ont peur d’être usés par la médiocrité du futur qui semble les attendre.

Certains ont besoin d’être inspirés ; pour inspirer à leur tour. Ils désirent la beauté, s’évertuent à attirer l’émerveillement et s’efforcent continuellement de devenir une meilleure version d’eux-mêmes. Sauf que parfois, ils échouent. Enfin, ils échouent temporairement. Mais l’impact de cet échec à 20 ans, il semble interminable. Ainsi, au passage, dans leur quête de reconnaissance, ils se font du mal aussi. La drogue, par exemple, ne sert-elle pas de douleur qu’ils s’infligent pour en amoindrir une autre ?

Ce qui touche dans Euphoria, c’est la force des mots et le pouvoir des dialogues. Cela peut paraître naïf, mais ils parlent des vraies choses de la vie. Il s’agit d’un véritable questionnement sur ce qu’est l’existence (ou du moins ce que représente le fait d’exister aujourd’hui à travers leurs jeunes yeux d’êtres-humains d’à peine 20 ans, dans le système actuel). C’est une histoire philosophique, de représentation de soi mais aussi des autres. Donc parfois, cela passe par voir ce que l’autre a pu percevoir. Il y a toujours deux versions dans une histoire et il n’y a jamais qu’une seule bonne réponse.

Le message de la série, c’est aussi se rendre compte à quel point les jeunes d’aujourd’hui semblent, tout simplement, dépassés. Des questionnements incessants et perpétuels mais pourtant tellement incompris. Parce qu’on leur répond trop souvent qu’ils comprendront plus tard, mais qu’eux se demandent déjà s’il ne sera pas trop tard.

Comment explorer Euphoria sans mentionner tout l’univers artistique et musical créé autour. Elle est empreinte d’une atmosphère toute particulière et ne ressemble à aucune autre. Euphoria, c’est désormais cette série aux reflets violets et mauves, aux musiques à la fois jazzy, aériennes voire spirituelles de Labrinth qui élèvent un peu plus les réflexions suggérées par le show. De « All For Us », à « Mount Everest », en passant par la planante « Forever », c’est une tristesse silencieuse et, paradoxalement, remplie de tellement d’espoir qui rythme les épisodes. « Peut-être [que les chansons] proviennent de mon côté ange et démon » / « Maybe [the songs are] my angel and devil sides » raconte le chanteur sur la conception des chansons (3).

Mais l’univers Euphoria, c’est aussi un makeup hyper travaillé et hypnotisant, et des styles vestimentaires bien marqués et souvent provocateurs. Tous ces éléments, ils articulent les rimes autour des sujets violents et douloureux abordés par la série. Teintant le tout d’une certaine poésie.

Zendaya l’a d’ailleurs rappelé sur ses réseaux sociaux avant la diffusion du premier épisode de la saison 2 d’Euphoria, le 9 janvier 2022 : « Euphoria s’adresse à un public averti » / « Euphoria is for mature audiences ».

 

A travers Euphoria, on comprend nécessairement que dans le regard des jeunes, le monde paraît grave, trop grave à supporter. Tout le temps. Et, c’est certainement ça qui agace et intrigue tant ceux qui ne sont pas issus de leur génération. Cependant, dans cette gravité omniprésente du système, tout ce qu’ils cherchent finalement c’est un peu de légèreté. Certains la trouvent dans la drogue, le sexe, l’argent. Et peu importe dans quoi ou chez qui ils trouvent ce confort, cette liberté et cette euphorie : peut-être qu’ils se donnent simplement aujourd’hui l’opportunité d’avoir de l’espoir pour demain. Leur échappatoire de l’instant. Et ça, c’est important de le comprendre. Parce que même si la série tend à confronter le spectateur à la froideur et à la brutalité de leur quotidien, elle tient aussi à montrer leur envie de s’en sortir, et d’être heureux. Fatalement, c’est ça leur quête.

Kim Gaborieau

 

 

Sources

(1)  Zendaya and creator Sam Levinson talk about Euphoria and Rue, Showmax, 1 août 2019 : https://www.youtube.com/watch?v=2679_CCOd4w

(2)  Confinement du printemps 2020 : une hausse des syndromes dépressifs, surtout chez les 15-24 ans, DREES, mars 2021 :https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-03/ER1185.pdf

(3)  composing the music of the series - behind the scenes of season 1, Euphoria, 05/09/19 : https://www.youtube.com/watch?v=qnKf_e9H7dk

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