Quand il s’agit d’aborder des « sujets » — de ceux qu’en France on donne en épreuve de philo du baccalaurat—, Hollywood le fait sans oublier de divertir, voire en osant beauté et poésie.
Figurant numérique d’un jeu vidéo où tout semble possible à tout moment — nombreux et réjouissants clins d’œil aux films de super héros des dernières années —, le Guy de FREE GUY va secouer sa vie monotone et répétitive par amour pour une femme qu’il croit être de la même condition que lui mais qui va se révéler être l’avatar d’une vraie personne, une joueuse en chair et en os, là, dehors... REMINISCENCE nous entraîne lui dans un futur proche où le dérèglement climatique a continué à faire monter le niveau des océans : Miami est inondé et ne vit plus que la nuit. Enfin, vivre… Dans un monde pareil… C’est pourquoi les gens s’accrochent à leur passé, qu’ils peuvent visiter grâce à une machine inventée par un certain Nicolas Bannister, dit Nick. Lui aussi va succomber au charme d’une belle inconnue, qui, elle aussi, lui cache longtemps sa vraie nature, sulfureuse et dangereuse. Mais qu’importe, la vraie vie est désormais passée…
La référence de REMINISCENCE à la pandémie actuelle (qui nous fait tant regretter la « vie d’avant » et vouloir à tout prix la retrouver) est ici secondaire, même si plutôt bien vue. Ce qui compte dans ces deux films hollywoodiens en diable, l’un lorgnant clairement du côté « casseur de briques » de l’univers Marvel, l’autre se réclamant plus des blockbusters poétiques d’un Christopher Nolan (c’est d’ailleurs son frère, Jonathan, qui produit), c’est qu’ils construisent leur narration autour de vrais concepts, comme la Vie donc — rien que ça ! — mais aussi la Liberté, l’Identité ou la Représentation pour l’un, le Temps, la Nostalgie et la Mémoire pour l’autre. En bons films américains, ils ne peuvent pas s’empêcher de le faire à travers une dramaturgie très action movie — blockbuster testostéroné à gros budget d’un côté, thriller et film noir de l’autre — mais ils le font de telle manière que le sens de leurs questionnements nous parvient tout en nous divertissant : follement (sauf sur la fin) pour FREE GUY, et ce en grand partie grâce à la performance d’acteur de Ryan Reynolds, hilarant ; un peu plus poussivement (surtout au début) pour REMINISCENCE, qui a par contre pour lui un univers visuel poétique très réussi et un Hugh Jackman post-WOLVERINE plutôt convaincant. Par exemple, pour nous dire que l’amour traverse le temps et les âges, le comédien star s’investit avec beaucoup d’émotion dans une pure scène de cinéma où son personnage, Nick, entre concrètement — vous verrez comment — dans la mémoire d’un autre pour y retrouver, à travers ce souvenir d'autrui, son amour perdu, et qu’elle lui parle en s’adressant à l’autre, et qu’elle le touche en serrant l’autre : assez bluffant, vraiment. Autre exemple : dans FREE GUY, toutes les scènes qui jouent sur les décalages entre joueurs en chair et en os rivés, Coca et pizza, à leurs écrans (donc si peu vivants…) et figurants construits de codes informatiques qui se révoltent pour leurs libertés (ça vous rappelle quelque chose ?) dans un jeu où ça bouge à tout-va, sont très drôles, et font froid dans le dos en même temps : sommes-nous manipulés ? Peut-on appeler vie ce que nous vivons ? Qu’est-ce qu’être libre ? Ou encore, si on revient une dernière fois à REMINISCENCE : sommes-nous constitués par nos souvenirs, prisonniers de notre mémoire et de notre passé, de quelques événements qui nous auraient marqué, fondé à jamais ? Et si oui, qu’en est-il réellement de cette Liberté qui, en France, depuis un mois, fait descendre des dizaines de milliers de manifestants dans la rue ?...
Car oui, des films comme FREE GUY et REMINISCENCE, mais aussi, par exemple, THE TRUMAN SHOW ou INCEPTION avant eux, nous posent des questions existentielles — nous « interrogent » comme on dit — sous leurs packagings bien marketés de films pop-corn ; et ils le font souvent bien mieux que nombre de films d’auteurs français palmedorisés ou césarisés, même quand ceux-ci se couvrent d’un alibi « romance américaine à grand spectacle et avec stars ». Que penser un effet d’un ANNETTE de Leos Carax qui, sous couvert de nous prouver le vide et l’artifice, voire la laideur des vies de deux nantis — nous intéressent-ils ces deux-là, interprétés par un Adam Driver et une Marion Cotillard qui ont l’air de s’ennuyer grave et ne pas savoir quoi jouer ? — puis celle, automatique, « marionnettique » n’est-ce pas — quelle drôle d’idée — de leur enfant-star à la Shirley Temple, distille un ennui pesant, gênant même car, quoi qu’il fasse, on l’aime bien notre Leos Carax. Lui-aussi, avec son film, a voulu évoquer le vrai, la Vérité, une Liberté à reconquérir par une petite fille malmenée, la Nostalgie d’un certain cinéma, donc d’une certaine Vie — puisqu’il paraît que le cinéma, c’est la vie — mais il a produit ce que François Truffaut appelait « un grand film malade » (voir pour se rafraîchir la mémoire ses entretiens désormais cultes avec Alfred Hitchcock, qui lui-aussi parlait d’Amour — ah VERTIGO — ou du Temps — argh PSYCHO — sous couvert de "films de genre" et fut donc longtemps méprisés par les cinéastes-auteurs français).
ANNETTE est un film-concept « à la française » qui, bien que tourné aux States, allez comprendre, perd le spectateur en chemin, entre deux génériques prologue et un épilogue très réussis car "très théâtre" — eh oui, on en revient toujours à Shakespeare et à sa quête de l’Identité —, deux scènes de toute beauté par leur simplicité bon enfant, presque naïve. FREE GUY et REMINISCENCE sont deux films-concept « à l’américaine » qui prennent le spectateur par la main : nous sommes tous des enfants qui réclamons chaque soir nos quelques minutes de conte avant de pouvoir dormir. Car, de quoi nous parlent les contes, Blanche-Neige, Hansel et Gretel, Candide, Mère-Grand ou le Méchant Loup, si ce n’est d’Amour, d’Illusion, du Temps ou de la Mémoire ? La Vie quoi… Et, c'est bien connu, les américains sont de grands enfants...
FREE GUY est sorti en salle le 10 août dernier mais ses chiffres de fréquentation en France ne sont pas très bons, alors ne tardez pas. REMINISCENCE sortira ce mercredi 25 août ; il n’est pas sans défaut mais mérite vraiment le détour. A vos commentaires une fois que vous les aurez vus !
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