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Les pesticides ne tuent pas que les insectes

La mort en suspens

Goliath démarre sur un drame agricole de plus : une femme est décédée de la suite d’une inhalation de tétrazine, un pesticide capable de provoquer des mutations génétiques handicapantes comme la déformation d’une partie du corps ou le manque d’un membre dès la naissance. Son épouse, Lucie, se bat aux côtés de ses beaux-parents et de militants pour faire reconnaître cette mort douloureuse et lente comme étant un meurtre. Le groupe, ironiquement nommé Phytosanis (santé des végétaux, mais pas des autres êtres-vivants), est à l’origine de ce produit chimique nocif. Il est célèbre, il est puissant, il est imbattable, et Lucie perd espoir.

Ce thriller français, réalisé par Frédéric Tellier, fait partie de la nouvelle vague des œuvres sur l’environnement, celle de Dark Waters (2019, Todd Haynes). Il n’est pas une simple fiction, il s’inspire de faits réels, notamment le scandale du glyphosate catégorisé comme produit cancérogène par l’OMS et pourtant encore autorisé en Europe et en France au moins jusqu’à décembre 2022.

Si Au nom de la terre (2019, Edouard Bergeon) s’attarde plutôt sur l’endettement grandissant des agriculteurs français à qui l’on demande toujours plus pour toujours moins de rémunération, Goliath met l’accent sur le caractère dangereux de ce milieu, autant au titre individuel pour le travailleur que pour le reste des individus, nourris avec des cultures pleines de substances toxiques. Pour la même raison, celle du rendement, les lobbyistes pourrient la tête du monde entier avec des idées toutes faites : « les produits laitiers sont nos amis pour la vie » alors que le lait est indigeste pour la majorité des gens parce qu’un mammifère quel qu’il soit n’a pas à consommer du lait après la période d’allaitement, et encore moins le lait d’une autre espèce que celle à laquelle il appartient ; « vivons forts » en mangeant de la viande, alors que manger de la viande à tout les repas est mauvais pour la santé (c’est gras, la viande rouge augmente les possibilités maladies cardio-vasculaire, et les protéines se trouvent aussi dans les végétaux) ou encore « la tétrazine n’est pas plus cancérogène que les bonbons qu’on donne à manger à nos enfants », phrase choc tirée du discours du lobbyiste Matthieu joué par Pierre Niney pour déjouer les attaques faites à Phytosanis.

Un film anti-pesticides ?

C’est un film indéniablement engagé, qui tente d’énoncer d’abord des faits, mais qui semble clairement engagé dans une démarche de presque militantisme via des scènes profondément dramatiques. Même s’il n’est pas complètement là pour démonter les lobbysites, à qui il prête une humanité relative, on peut au moins considérer qu’il est là pour ouvrir les yeux à un maximum de gens. Après le visionnage, il sera temps de reconsidérer le fait de ne consommer que des produits bio pour éviter de mourir avant l’âge de la retraite, même s’il faut y mettre quelques euros de plus...

On suit alors France, une femme engagée et enragée contre son voisin agriculteur qui continue d’épandre la mort dans ses champs parce que son mari est atteint et que son temps est compté. Elle travaille d’arrache pied pour nourrir les bouches dont elle a seule la responsabilité. A l’opposé de cette petite famille à plaindre, heureuse dans son malheur, optimiste avec un rien et pleine d’amour, se trouve le foyer bien rangé de Matthieu, lobbyiste professionnel, père d’une fille pourrie gâtée à qui il paye une limousine pour se rendre à un concert parisien avec ses copines et compenser ses absences récurrentes. Ce parallèle, peut-être grossier, entre les pauvres victimes et les riches salopards n’est pas aussi bien filmé que celui de Parasite (2019, Bong Joon-Ho), mais il a le mérite de dire « Vous voyez, la société laisse exister des différences aussi injustes que celles-ci : ceux qui trinquent sont ceux qui n’ont pas de quoi se payer un avocat pour porter la vérité, et les raconteurs de mensonges peuvent se payer le luxe d’une vie de famille ». C’est un (triste) constat qui fout la rage à la classe moyenne dans la salle de cinéma.

Il revient donc à la justice d’arbitrer entre les supposées victimes de la tétrazine et ses fabricants. L’avocat, Patrick, porté par un devoir moral plus que par son devoir de représentation et de défense légale, décide d’aider jusqu’au bout, quitte à y perdre de l’argent et des plumes, le camp des perdants. « Est-ce que les bourreau gagnent toujours face à leurs victimes ? » demande-t-il aux jurés lors de son plaidoyer, incriminant Phytosanis qui dépense des millions dans la belle communication mensongère pour étouffer les tragédies humaines qu’elle provoque. Ça semble perdu d’avance, et c’est toute la force du thriller qui nous fait tout de même espérer une fin… heureuse.

Le message est plus fort que la technique

Vous l’aurez compris, Frédéric Tellier avait quelque chose d’important à dire, et le message est passé, même les moins perméables iront se renseigner sur le sujet des pesticides. Avec une moyenne de 6,7/10 (SensCritique), il est classé aujourd’hui en deuxième position dans le TOP des meilleurs films français de 2022 par les internautes du réseaux social, tandis que la presse lui a donné 3,6/5 (Allociné). Mais pour autant, le film comporte des lacunes cinématographiques.

Même si les acteurs sont bons, Pierre Niney et Emmanuelle Bercot en tête, bien que le jeu de Gilles Lelouche soit jugé forcé, le scénario n’est pas toujours bien écrit et les personnages non plus… Prenez celui du regretté Jacques Perrin : pas convainquant pour un sous, à peine crédible, il est pourtant la clé de l’intrigue en tant que scientifique ayant les arguments pour contrer l’attaque du titan, ou plutôt du Goliath. Quant à la terrible scène censée émouvoir l’audience entière pour son extrême violence, sa mise en scène en a complètement foiré l’effet tragique !

Un film d'utilité publique

Plus de 775 000 entrées au box office en trois semaines de diffusion dans les salles, c'est pas mal, mais c'est tellement loin derrière le résultat du dernier Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ? qui a dépassé les 2 millions en à peine un mois, que ça en est presque triste...

Voyez Goliath, que ce soit au cinéma, en VOD ou en DVD, mais voyez-le et vous comprendrez en quoi il s'adresse à chacun de nous.

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