
L’ardoise est encore difficile à chiffrer, mais s’élèvera évidemment à plusieurs dizaines de milliards d’euros dans les dix à quinze ans à venir. L’État le sait, les collectivités locales et les entreprises du secteur privé le savent aussi. Les contribuables, eux, n’ont peut-être pas encore vraiment pris la mesure de l’enjeu : la révolution de la décarbonation est inéluctable et devra s’appuyer sur des politiques publiques fortes. Ils ont donc leur mot à dire, car le fléchage de leurs impôts impactera grandement leur vie quotidienne et leur pouvoir d’achat.
La voiture, cible n°1 de la décarbonation
Les constats sont clairs et percutants : le secteur des transports – principale source de gaz à effet de serre (GES) en France – n’a plus d’autres choix que de décarboner ses usages et ses infrastructures. Selon les chiffres du ministère de la Transition écologique dirigé par Amélie de Montchalin, il est responsable de 31% des émissions de GES, 97% d’entre elles étant le résultat de la combustion des carburants fossiles. Le podium des pollueurs est le suivant : 54% pour les voitures particulières, 24% pour les poids lourds et 20% pour les utilitaires légers. Les jours des moteurs thermiques – essence et diesel – sont donc comptés. Initialement prévue en France pour 2040, la fin de la commercialisation de ces véhicules pourrait intervenir dès 2035, voire 2030 comme ce sera le cas chez certains de nos voisins européens.
Les alternatives à la voiture et aux poids lourds – le train principalement – ne pourront pas effacer une réalité : 71% des Français utilisent quotidiennement leur véhicule, selon le Baromètre des mobilités du quotidien publiée par Wimoov et la Fondation pour la nature et l’homme (FNH). Ce baromètre est particulièrement intéressant, de par sa dimension sociologique. On y apprend par exemple que 27,6% des 13000 personnes interrogées (de 18 ans ou plus) sont en situation de précarité en matière de mobilité. Cela se traduit de différentes manières : bas revenus, budget carburant trop élevé – et cela ne devrait pas s’améliorer –, impossibilité d’acquérir un moyen de locomotion ou de payer un abonnement aux transports collectifs… Plus de 13 millions de Français seraient ainsi impactés.
Les pouvoirs publics vont donc devoir prendre ce paramètre en considération au cours des prochains mois et des prochaines années : la transition écologique ne pourra pas se faire sans les Français les moins aisés, la dépendance à la voiture individuelle nourrissant les inégalités. Il va donc leur falloir flécher leurs investissements en commençant par la base. Dans le cas contraire, toutes politique de décarbonation échouera.
Vers le maintien des subventions
L’État devra donc faire perdurer ses subventions pour convaincre les automobilistes de sauter le pas et d’acheter un véhicule 100% électrique, qui ne représente en France que 9,8% du parc automobile actuellement. Les coups de pouce financiers devront continuer, voire s’intensifier. L’État n’aura d’autres choix que de maintenir ses bonus écologiques, ses primes à la conversion et les aides des collectivités locales, que ce soit pour l’achat d’une voiture électrique ou pour l’installation de borne de recharge à domicile. Et ces aides ne concernent pas que les véhicules particuliers, le transport routier n’est pas oublié, l’État venant de lancer un appel à projet baptisé Ecosystème des véhicules lourds électriques : les camions électriques pourront être financés jusqu’à 150000 euros par l’État. « La subvention pourra atteindre 65% de l’écart de coût d’acquisition entre le véhicule électrique et son équivalent diesel, selon un barème qui tiendra compte du type de véhicule, a précisé en mars dernier Jean-Baptiste Djebbari, alors ministre délégué aux Transports. Le bonus à l’acquisition de véhicules lourds électriques et hydrogène sera maintenu, afin notamment de ne pas pénaliser les dossiers déjà en cours. »
En pleine campagne présidentielle, Emmanuel Macron a également proposé une aide au leasing de voitures électriques afin que la facture mensuelle du client n’excède pas 100 euros, l’État prenant à sa charge une partie du loyer du véhicule. « Le budget prévisionnel du gouvernement pour la première année est de 50 millions d’euros pour 100000 véhicules, chiffre Franck Legardeur, fondateur de la startup Delmonicos. Cela représenterait donc une aide d’environ 42 euros par mois. Précisons aussi que cette aide resterait très ciblée, puisque conditionnée par les revenus du ménage, et qu’elle vise principalement les professions socio-médicales ainsi que les jeunes. » Une idée qui va dans le bon sens et qu’il serait judicieux de concrétiser.
Qui pour payer le coût des infrastructures ?
Reste l’épineuse question du financement des mesures les plus lourdes, celles qui touchent aux infrastructures routières. Car le gros morceau est là, et l’État n’aura pas les moyens de ses ambitions, que ce soit pour le réseau des routes secondaires non-concédées (nationales ou départementales) ou pour les autoroutes. Hors de question en effet pour Bercy de faire peser le coût de ces investissements massifs sur les contribuables.
En mars dernier, le Conseil d'orientation des infrastructures (COI) a publié un rapport chiffrant à 200 milliards d'euros sur dix ans les besoins financiers en matière d'investissements. Premier concerné : le secteur des transports et ses infrastructures. « Nous avons devant nous un véritable mur d’investissement, qui préfigure un mur de fonctionnement et il va bien nous falloir trouver collectivement les moyens de surmonter ces défis pour répondre aux multiples enjeux qui nous attendent », a prévenu David Valence, président du COI et vice-président de la région Grand-Est en charge des Transports. Dans le collimateur du COI, le réseau ferroviaire et le réseau routier vont nécessiter des milliards d’investissement – en augmentation de 50% par rapport aux budgets actuels – pour parvenir à leur remise à niveau. Le COI a donné rendez-vous aux pouvoirs publics à l’automne 2022 pour ses préconisations, avec entre autres la poursuite de la rénovation des réseaux existants et le déploiement des infrastructures de fourniture d’énergie décarbonée.
Le secteur routier est tout ouïe. La France a par exemple besoin de rattraper son retard dans la généralisation des bornes de recharge haut début (150kW) dans l’espace public, et doit poursuivre le déploiement de nouvelles infrastructures comme les gares multimodales ou les voies dédiées au transport collectif sur autoroute. Pour cela, l’État devra nécessairement s’appuyer sur les acteurs privés du secteur, seuls capables de mobiliser les financements nécessaires. Selon l’ASFA (Association des sociétés françaises d'autoroutes), 1,5 milliard d’euros ont été investis en 2021 sur le réseau autoroutier français, un montant promis à augmenter dans les années à venir si la France veut respecter son agenda en termes de décarbonation des transports. Si l’État peut continuer de mettre la main à la poche pour aider les ménages à acquérir un véhicule électrique, il devra mettre à contribution le secteur privé pour les infrastructures. La décarbonation de la route ne pourra pas marcher que sur une seule jambe.
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