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Point de vue

Le piège du métier passion

Dans un livre coup de poing, Anne-Claire Genthialon, journaliste de vocation, évoque le piège du métier passion. Durant six années, la jeune femme a tout sacrifié pour décrocher le contrat de ses rêves dans un contexte de marché du travail toujours plus flexible. L’ascension professionnelle est insensiblement devenue descente aux enfers. Portrait d'une personnalité attachante.

Désormais on veut vivre le grand frisson, les élans et les tourments avec son métier. Pour cette profession, on déplacera des montagnes, on fera preuve d’une dévotion dont seule la passion nous rend capables.

Anne-Claire Genthialon

Étudiante : la réalisation d’un rêve

Mue par une vocation précoce, Anne-Claire Genthialon a caressé le rêve de devenir journaliste. Elle reconnaît avoir fantasmé ce métier ainsi que son insertion professionnelle, dans un contexte concurrentiel où les places sont chères. Anne-Claire met ainsi tous les atouts de son côté : études brillantes, stages, avant d’intégrer la prestigieuse École supérieure de journalisme de Lille. Dans un premier temps, l’obtention d’un CDD dans la rédaction d’un grand quotidien national est vécu comme un accomplissement. La jeune femme confie qu’elle aurait été « prête à payer » pour exercer sa profession de prédilection.

Une passion dévorante

Une passion dévorante est un sentiment vertigineux entraînant un surinvestissement, un oubli de soi, du droit du travail, des conditions salariales. Anne-Claire Genthialon considère que le journalisme est devenu une partie de son identité, aussi bien professionnelle que personnelle, dans un entremêlement des deux sphères. Le métier de vocation en vient à empiéter sur les relations familiales, intimes. Le lieu de vie est lieu de travail, une bulle se crée, une incompréhension s’installe.

Pigiste : du rêve la réalité

Entamer une carrière de journaliste en tant que pigiste est une forme de passage obligé. Anne-Claire Genthialon évoque ce qu’elle nomme un syndrome de Stockholm vis-à-vis de son employeur. Son désir absolu d’exercer son métier amène la jeune journaliste à être moins payée, donner beaucoup, montrer qu’elle est disponible, digne de confiance. Anne-Claire finit néanmoins par ressentir une charge mentale épuisante, destructrice. Malgré des sacrifices supposés temporaires, elle vit un chemin de croix, une passion christique, au sens religieux, dans l’espoir d’un bonheur professionnel et d’une félicité personnelle.

Un chagrin d’amour professionnel

Anne-Claire Genthialon raconte que le quotidien qui l’employait sous plusieurs statuts précaires (CDD, piges) a successivement publié deux offres d’emploi. L’intitulé desdits postes correspondait stricto sensu aux tâches que la jeune journaliste accomplissait depuis six ans. Considérée comme externe à l’entreprise, elle n’a même pas pu faire acte de candidature. Ces deux déceptions ont été vécues comme une blessure intime, finalement identifiée comme un chagrin d’amour professionnel. L’atteinte personnelle est d’autant plus durable, la remise en question d’autant plus forte, qu’elle a trait au monde du travail.

Les affres de l’individualisation

Anne-Claire Genthialon stigmatise le marché du travail actuel, qui fait ressentir aux individus que l’aboutissement de leur carrière dépend de leur bon vouloir. L'époque veut que l'on assume une tentative infructueuse, une erreur d’orientation, une nécessité de reconversion. Néanmoins, selon la journaliste, faire reposer sur les individus l’entière responsabilité de leur trajectoire professionnelle revient à omettre que le marché du travail est soumis aux aléas économiques, géopolitiques. Ces événements affectent durablement celles et ceux qui en sont victimes.

Métier passion ou métier raison ?

Toute passion est-elle déraisonnable ? Anne-Claire Genthialon récuse l’idée d’un métier où l’on serait déconnecté de son affect. La jeune femme, qui a exploré les vastes sphères du journalisme et de l’audiovisuel, est aujourd’hui chargée de développement chez ELEPHANT. Elle a retrouvé une équipe, un collectif, du sens. Échaudée, Anne-Claire rappelle toutefois qu’une profession ne fait pas une personnalité. Il convient de savoir qui l’on est, de se préserver. La rationalité doit prendre le pas sur tout sentiment destructeur car les passions amoureuses, en littérature comme au travail, finissent mal... en général.

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