Rubrique
Longread

Communiquer sur l’écologie : contourner les vices du punitif pour une réhabilitation de la notion de plaisir

La préoccupation environnementale se fait de plus en plus pressante, intensification marquant la légitimité aux yeux du grand public des problématiques liées au changement climatique, dont l’existence paraît attestée pour le plus grand nombre : les entreprises en ont investi le champ au moyen de mesures et actions RSE, les gouvernements en font dans leurs discours une urgence décisive devant amener à des solutions poussées, et les consommateurs ne sont plus la dupe de techniques commerciales et marketing visant à détourner l’impact environnemental induit par leurs produits et services.

 Pourtant, le clivage, les polémiques continuent inlassablement de sévir et d’occuper le terrain médiatique de façon récurrente, selon les mêmes termes : la lutte pour le climat nécessite-t-elle que l’on justifie une certaine radicalité dans les mobilisations d’activistes ? Pourquoi faudrait-il faire passer la thématique écologique en premier alors même que cela reviendrait – supposément, selon les dires de la Première Ministre française Élisabeth Borne lundi 14 novembre sur BFMTV - à léser les populations de leur pouvoir d’achat ? Autrement dit, si la cause semble aussi noble que juste, elle continue d’interroger au point de cliver voire de décourager l’action engagée d’une large part de la population, rendant caduque une révolution socioéconomique et politique en faveur de l’environnement.

 Si l’on pourrait croire de prime abord, et en se calquant sur les discours politiques, que la cause de cette forme d’indifférence résulte d’une incapacité pour les citoyens à concilier pouvoir d’achat et lutte environnementale, c'est en réalité bien le type de communication produite qui est à incriminer en matière d’inaction.  

 Il n’est pas rare, il est même fréquent, d’observer une lassitude, un rejet, pour ne pas dire un dégoût de l’écologie à travers ses incarnations, avec au premier chef desquelles les écologistes : ceux-là seraient toujours donneurs de leçons de morale, culpabilisateurs, créant alors un écoeurement pour la préoccupation écologique chez une certaine partie des citoyens. En intimant, au moyen de l’injonctif et du prescriptif aux citoyens d’agir de telle ou telle façon et en pointant du doigt leur mauvais comportements, nait un sentiment de culpabilité et d’impuissance pour qui se sent visé par cette communication. Cette impression de mal faire est clivante au sens propre du terme où elle sépare des écologistes ceux qui n’en sont pas, et qui sont trop éloignés, par leurs pratiques non-écologiques, pour en faire partie.

 La tonalité de discours est moins de l’ordre de l’insertion, de l’inclusion que d’une douce délation de ces non-initiés à la cause. Phénomène contre-productif en un double sens : non seulement cette communication sépare, mais de façon pernicieuse, sans s’en rendre compte, elle circonscrit l’écologie à un domaine d’activisme et de militantisme ; si celui-ci est précieux, utile, hautement nécessaire indéniablement, il doit néanmoins s’ouvrir vers celles et ceux pour qui le militantisme n’est pas leur seconde nature. Ouverture d’autant plus nécessaire qu’un renversement de paradigme économique, qui est arrimé sur la notion de profit, ne pourra s’envisager qu’à condition qu’une majorité de citoyens en soient convaincus. L’objectif est de rallier le plus de monde pour que le mouvement s’organise, se renforce, se déploie jusqu’au point de bloquer les méfaits des industries polluantes, de faire contrepoids aux lobbys, d’impulser positivement chez les gouvernements une dynamique de changement vertueux. Il en va par là-même du bon fonctionnement de la démocratie : celle-ci repose entièrement sur le pouvoir détenu par le peuple. Si le peuple ne se forme pas comme un contre-pouvoir de haut vol face aux mastodontes entretenant le climato-scepticisme, la démocratie n’est plus, et laisse sa place à un autoritarisme dicté par la puissance financière principalement.

 Un autre type de communication se retrouve fréquemment, mobilisant le registre de la peur. Le discours rationnel, objectif, documenté et chiffré des rapports du GIEC trouve sa transcription émotionnelle dans le militantisme écologique : l’apocalypse est devant nos yeux, déjà en train de se préparer, l’heure est à la peur, au désespoir, il faut faire quelque chose, urgemment, nous n’avons pas le choix. La peur alerte et nous signifie qu’un danger peut se présenter à nous : nous sommes donc en éveil face à lui, nous voulons lui échapper. Or pour celles et ceux à convaincre de cette urgence, l’information est partielle, méconnue, les causes du mal environnemental sont mal identifiées. Ne subsiste qu’un discours effrayant, morbide, dont le défaut central est de paralyser l’action. Comment agir, moi qui ne suis pas grand-chose à l’aune d’un problème si massif ? Comment agir, alors que nous apparaissons condamnés collectivement ?

 La chute annoncée n’est malheureusement pas un élément communicationnel faisant advenir une motivation. D’un point de vue psychologique, la motivation est entrevue comme la conséquence logique de la confiance en soi. Pour être motivé, pour agir, il faut avoir confiance. Or tout indique, pour le dire vulgairement, que nous sommes fichus, et qu’il ne faut pas faire confiance envers les acteurs en qui nous croyions il fut un temps : les promesses de la consommation, de la mondialisation, d’un confort et d’un niveau de vie acceptable généralisés étaient des moteurs efficaces de confiance. Or il s’avère que les acteurs ont menti. Cette déloyauté, cette hubris sonne comme une trahison : nous ne pouvons plus faire confiance. Il serait vain de croire facile la mobilisation contre ces acteurs, puisqu’ils continuent de contrôler les sociétés à l’échelle mondiale. Il est assurément plus aisé de se complaire dans le système qui a été naturalisé pendant des décennies.

 Nous pourrions rétorquer que l’individu est foncièrement responsable de ses actes, et qu’il peut alors croire en lui-même, en sa capacité à s’extraire du système pour s’inscrire dans un mode de vie nouveau. Revêtir un mode de vie nouveau procède d’une stylisation de sa vie. Si je me fais écologiste, je me colore et colore ma vie d’une certaine façon. Je lui choisis une connotation, une nouvelle identité. Cette identité doit alors me correspondre socialement ; il en va de mon image et de ma réputation. Ce niveau identitaire et de représentation de l’écologie est trop peu souvent abordé, parce que diffus, de l’ordre de la perception et donc de la subjectivité, considérée comme insondable. Il est pourtant fondamental pour comprendre le rejet d’une frange de la population de l’écologie : ce qu’elle représente, ce à quoi elle renvoie, peut ne pas plaire. À ce titre, ce sont les figures caricaturales de « l’écolo » qui semblent en refroidir plus d’un : du bobo parisien au marginal écolo radical, ces figures stéréotypées nourrissent une représentation d’identités écolo très réduite. Si l’on n’adhère pas à ces figures, l’identification ne peut se produire. Pire, on voudra s’en détacher à tout prix pour ne pas y ressembler. La caricature masque et fait oublier que d’autres identités, ou plutôt d’autres individus, existent.

 Enfin, il convient de rappeler que la communication politique de l’écologie a contribué à la création de l’écologie punitive : fait marquant, l’introduction de la taxe carbone a connu une sévère impopularité, conduisant à l’émergence de conflits sociaux inédits attribués aux gilets jaunes. L’écologie par la taxation engendre l’accroissement des inégalités sociales et conforte les citoyens qui amalgament déjà écologie et appauvrissement.

 Du plaisir dans l’écologie 

 L’importance du vocabulaire et des champs lexicaux choisis en matière écologique est capitale. Les éléments de langage ne peuvent renvoyer seulement à de l’angoisse : l’éco-anxiété est devenue une pathologie mentale réelle qui dépossède l’individu de ses moyens d’action. Lorsque les mots font référence à la privation, à la contrainte, la notion de plaisir est évidemment tue, si bien qu’il serait presque inconvenant de réunir dans un syntagme les mots « écologie » et « plaisir », tant ils paraissent contraires l’un à l’autre. Est-il si absurde d’envisager une écologie plaisante, de la joie, de la cohésion ? L’enjeu est celui de la désirabilité. Il faut désirer l’écologie pour qu’elle se concrétise en actes. Dépeindre une esthétique vertueuse et appétente au moyen de représentations et de symboles forts, permettant d’envisager un nouveau monde commun.

Face aux promesses toujours plus gonflées des industries, faire des promesses plus plaisantes venant concurrencer les premières. Miser sur les apports d’un monde durable est tout aussi important que d’axer ses communications environnementales sur les conséquences désastreuses d’une poursuite de nos modes de vie actuels. Il convient de créer une projection heureuse, de construire de grands récits collectifs fédérateurs, comme on le ferait pour une nouvelle aventure à vivre. C’est l’envie qui doit renaître, à travers la croyance en l’édification de nouvelles possibilités trop souvent mises au second plan. On assimile trop grossièrement la sobriété, la neutralité carbone à une régression : il s’agirait d’abandonner la civilisation pour faire retour à de l’ancestral. Cette assimilation, au-delà d’être fausse, est très efficace pour mutiler l’envie de changement. Pour la contrer, l’idée de progrès doit évoluer : être sobre, être neutre énergétiquement n’est pas une perte. C’est une avancée, un progressisme, une chance pour nos sociétés présentes et futures, d’un point de vue environnemental et sanitaire. Il n’y a pas de déplaisir généré par la lutte environnementale, même si celle-ci passe par des efforts transitoires.

 Sans doute n’est-il pas inutile de convoquer le pionnier de l’écologisme américain, le forestier et penseur Aldo Léopold, qui, dans L’éthique de la terre, plaide pour une réhabilitation de la dimension de l’affect dans notre appréhension de la terre : « Pour moi, il est inconcevable qu’une relation éthique à la terre puisse exister sans respect, amour et admiration pour la nature. », avant d’ajouter que l’homme a dépassé la terre, qu’il en est donc séparé et ne peut plus avoir à son égard de devoirs éthiques. Une terre aimable, pour qui l’on a de l’affection permet de rapprocher l’homme de son habitacle naturel. Pour aimer la terre, il faut la connaître et ne pas l’exploiter. Les pratiques de contemplation de notre environnement sont à renforcer, pour paraphraser Heidegger. Faire naître le contemplatif à travers les mots employés pourrait aussi entretenir l’idée d’une écologie du plaisir : les mots ont des images. « Les mots qui ont un son noble contiennent toujours de belles images. », nous rappelle Marcel Pagnol. 

 La question est souvent posée de savoir si la radicalité écologique se justifie. La cause la justifie largement, mais un déséquilibre se crée : à travers cette radicalité d'actions menées, la violence est prégnante, et l’amour n'est pas visible, il passe au second plan. Promouvoir la radicalité de l’amour écologique, l’insubordination à toute forme de trahison de cet amour voué à la nature pourrait permettre, sans faire de jeu de mots abusifs, de tomber amoureux de la cause environnementale. Il s'agit là d'un véritable travail communicationnel, à même de donner de l’aplomb à la communication en tant que telle, pour lui redonner toutes ses lettres de noblesse.

Application Mobile

Téléchargez Encrage Media sur votre mobile pour ne pas manquer nos dernières publications !

Commentaires

Le contenu de ce champ sera maintenu privé et ne sera pas affiché publiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.
Image CAPTCHA
Saisir les caractères affichés dans l'image.