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60e anniversaire de l'appel de Peter Benenson, acte fondateur d'Amnesty International

(c) Amnesty International

« Il ne se passe pas de jour sans que, en ouvrant son journal, on apprend qu’un homme, quelque part dans le monde, a été jeté en prison, torturé ou exécuté parce que ses opinions ou sa religion déplaisait à son gouvernement […] les lecteurs des journaux éprouvent un sentiment pénible d’impuissance. Mais si tous ceux qui sentent monter en eux l’indignation devant de telles nouvelles pouvaient se donner la main à travers le monde pour entreprendre une action commune, il serait possible sans doute d’obtenir un résultat positif ». 

Indigné par la lecture d’un fait divers au Portugal sur le sort de deux étudiants, arrêtés, incarcérés et condamnés à 7 ans de prison sous le régime dictatorial de Salazar, l’avocat Peter Benenson rédige une note journalistique. La raison de cet emprisonnement lui semble surprenante. En effet, les étudiants sont accusés d’avoir porté un toast en faveur de la liberté, la sanction semble démesurée pour eux. L’injustice de trop pour Peter Benenson, il réalise cette fracassante déclaration dans la revue de The Observer. Une tribune pour témoigner de son indignation, qui acclamée, sera fortement répandue internationalement.

A travers cet article de presse, l’avocat britannique se montre très critique sur le sort de milliers d’Hommes du monde entier, définis comme prisonniers de conscience et emprisonnés sans jugement pour des convictions politiques et religieuses qui diffèrent des gouvernements. 

Le succès de l’article étant de mise, une initiative est en conséquence lancée : une campagne mondiale pour l’amnistie pour que tous ces gouvernements libèrent ces prisonniers ou les jugent suivant une procédure légale. L’initiative lancée par un groupe d’avocats, directeurs de journaux, écrivains, personnalités médiatiques est une réussite internationale et réussit le pari de mobiliser massivement l’opinion publique. La création d’Amnesty International prend forme. Dès lors, sa popularité augmentera jusqu’à devenir l’ONG la plus célèbre dans la lutte pour les droits de l’Homme et leur respect à travers le monde. La naissance officielle de l’institution est actée le 28 mai 1961. 

Un contexte historique trouble 

Le contexte de l’époque est d’ailleurs tristement adéquat à ce genre d’initiatives, puisque la situation humanitaire est catastrophique dans de nombreux pays d’Europe, d’Afrique ou encore d’Amérique du Sud. Le contexte politique international est instable, marqué par des guerres de libérations nationales (Indonésie, Indochine, Algérie…) avec des répressions et des emprisonnements réguliers d’opposants. 

Les dictatures sont également de mises en Europe, avec des combats pour les populations aspirant à l’indépendance et luttant contre les puissances coloniales. En Amérique Latine, on retrouve aussi des dictatures, capitalistes, soutenues par les Etats-Unis pour freiner l’avancée du communisme. Ces régimes souvent instaurés par la violence ne respectent pas de manière récurrente les droits de l’Homme. Sur le continent africain, les pays décolonisés voient aussi le retour des dictatures alors que la démocratie s’estompe progressivement au sein de la région. 

Le Projet de Peter Benenson 

Premièrement cofondateur d’une ONG portant sur la justice en compagnie de multiples juristes britanniques, Peter Benenson s'engage fréquemment pour les droits civiques et politiques notamment au sein des empires coloniaux. Postérieurement, il se met à idéaliser une nouvelle ONG regroupant davantage, avec des « membres » aux profils variés : spécialistes, non spécialistes et surtout des membres de la société civile. Désormais, il ambitionne une organisation impartiale, ne dépendant d’aucun régime politique (les financements des Etats sont en théorie impossibles), et qui critique les violations en termes de droits humains indépendamment de la couleur du régime politique coupable des atrocités. Occident comme Orient peuvent donc être ciblés par les critiques d’Amnesty International. Pour être défendu par Amnesty, une personne prisonnière de conscience doit toutefois impérativement être un prisonnier de conscience non violent, sous peine de ne pas recevoir de statut particulier par Amnesty et en conséquence ne pas être défendu. L’exemple le plus frappant peut être celui de Nelson Mandela, à qui ce statut n’a pas été attribué.

Evolution progressive d’Amnesty International 

Moins ambitieuse au départ, Amnesty International se caractérise pour être une organisation bénévole en Angleterre premièrement, sans réelle intention de poursuivre un accroissement à échelle internationale. Le but principal est de rassembler derrière elle l’opinion publique pour acquérir ainsi la force nécessaire pour faire pression sur les gouvernements et les contraindre de libérer les prisonniers de conscience ou du moins améliorer leurs conditions de détention.   

De nos jours, Amnesty s’est largement élargie et compte désormais des milliers de collaborateurs à travers le monde, des millions de membres donateurs, des offices dans plusieurs pays (Genève, Londres, New York…) et des bureaux régionaux avec des collaborateurs nationaux. L’organisme assimile une structure combinant professionnels et volontaires dans le but de se diffuser, attirer des nouveaux donateurs/financements et poursuivre les études en droits humains sur un plan international. 

Comment se déroule une enquête sur le terrain ? 

Amnesty International (AI) s’est largement développée et répandue. En conséquence, son champ d’actions est démultiplié, avec des « branches » centrées sur la communication, le marketing et la publicité pour obtenir davantage de ressources et de financements. Pour la défense des droits humains, une collecte d’information au préalable est inévitable, à travers l’étude de la presse locale et internationale, d’articles scientifiques, de missions et autres ONG locales. Ensuite, la famille ou les proches des victimes emprisonnées sont également approchées pour renforcer les renseignements. Un bulletin mensuel recense et relate ensuite les nouveaux cas de prisonniers de conscience à travers le monde. Lorsque ceux-ci sont identifiés, des lettres de pressions et de notifications sont envoyées aux gouvernements : Amnesty les surveille. L’opinion est un appui considérable pour l’ONG qui n’hésite pas au cours de ce processus à alerter l’opinion publique pour dénoncer les pouvoirs bafouant les droits de l’Homme. AI a sa spécialité : exposer les violations de droits humains commises tant par des gouvernements comme par des groupes politiques armés ou encore des acteurs non-étatiques. Les moyens de communications sont sollicités pour les dénoncer à travers leur énumération dans des rapports mensuels et annuels ou à travers d’autres moyens de communications. Les appels sont relayés dans les journaux du monde entier, et provoque une réaction internationale de grande ampleur pour rassembler autour d’une bonne cause.

Les actions de l’ONG se sont également élargies, avec une professionnalisation rapide et l’organisation de campagnes à thématiques en constante évolution : violations, tortures, disparitions, violences, assassinats et exécutions extrajudiciaires…

Depuis le XXIème siècle, la thématique des campagnes a été bouleversée, avec des initiatives médiatiques pour les droits économiques, culturels et sociaux pour les peuples indigènes notamment. A l’heure actuelle, Amnesty International est devenue davantage tiers-mondiste. Amnesty s’attarde désormais sur les droits humains, les prisonniers d’opinions mais plus largement la défense de civils lors de conflits internationaux, des discriminations, protections des personnes, des réfugiés, des migrants ou encore des droits sexuels… AI se concentre plus largement sur des personnes dont origines ethniques ou leur appartenance (politique ou religieuse) peut être utilisées comme motif pour que l’on leur prive certaines libertés fondamentales. 

Les polémiques entourant Amnesty International : 

Comme un slogan alternatif, AI proclame fortement son indépendance à travers la non-acceptation de flux financier à provenance gouvernementale. Les donataires sont multiples, et regroupent des membres affiliés à Amnesty International, diverses organisations, des entreprises et des fondations ou la société civile. 

Les théories sont toutefois nombreuses pour souligner la probable « invasion » au sein d’Amnesty International de gouvernements à travers des flux financiers douteux, non révélés au grand public. 

L’image régulièrement écornée d’Amnesty International 

Les polémiques autour d’Amnesty International concernent essentiellement les activités économiques de l’organisation mais aussi son fonctionnement en tant que tel et l’ambiance de travail de certains sièges régionaux. Nombreuses études se sont penchées sur le sujet des financements et des liens (étroits ?) entre l’organisation et des membres/anciens membres du gouvernement étasunien. 

Derrière l’ONG Amnesty International, l’Amnesty International Charity Limited est fréquemment soupçonnée d’être une association par laquelle passent les financements étatiques et corporatistes. Alors que les rapports financiers de l’organisation ont « disparu » d’internet (pratique augmentant le doute), on retrouve comme donateurs pour Amnesty International Charity Limited des acteurs directement ou indirectement liés à des gouvernements comme la Fondation Nationale pour la Démocratie Américaine NED (financée par le Congress via USAID), mais également le Département d’Etat Américain (pour la branche israélienne) ou encore le Département exécutif du gouvernement britannique responsable de l’aide humanitaire et de l’aide au développement au niveau national (pour la branche britannique d’Amnesty). Même si Amnesty International prône son indépendance financière tout en remerciant ses donateurs anonymes, lorsque l’on se penche sur le livre des comptes, un doute plane concernant la provenance des financements. D’autant plus qu’aucune transparence existe sur les flux financiers, les rendant davantage opaques. 

En raison également de liens pour le moins douteux entretenus avec le gouvernement des USA, les chercheurs analysant la provenance des financements de l’ONG remettent en cause la partialité de l’ONG quant au choix des campagnes, des cibles ou des positions politiques adoptées. Des théoriciens proclament même que les instances internes de l’ONG (ex : direction) seraient infiltrées par des membres de gouvernements qui prôneraient les stratégies nationales défendues par les divers ministères des affaires étrangères. Cette démarche expliquerait donc pourquoi certains conflits sont surexposés et d’autres passés sous silence. 

La relation USA-Amnesty International est soupçonnée de longue date, et il est difficile de ne pas voir certains conflits d’intérêts lorsque l’on se penche sur le personnel d’Amnesty International et notamment de sa branche étasunienne. Certains cadres (Suzanne Nossel, directrice d’Amnesty International USA de 2012-2013) ont occupé des rôles au sein de gouvernements (assistante personnelle d’Hillary Clinton aux affaires étrangères). Les détracteurs de l’ONG reprochent d’ailleurs au cours de ce mandat des orientations stratégiques trop proches de la politique étrangère étasunienne.

Autres cas des plus frappants : l’intervention au Moyen-Orient pour laquelle l’opinion publique étasunienne n’était pas du tout favorable. Amnesty a joué un rôle clé pour retourner l’opinion publique, démarche stratégique également favorable aux intérêts de Washington. 

Aussi, alors qu’Amnesty International a lancé une campagne publicitaire visant à soutenir l’intervention de l’OTAN en Afghanistan « Enduring Freedom », avec les troupes étasuniennes largement engagées pour défendre « Droits humains pour les femmes et les jeunes filles en Afghanistan : OTAN continuez les progrès ». A l’opposée, l’intervention française au Mali a suscitée des critiques inespérées et incompréhensibles si l’on se rattache à son dessein original : combattre le terrorisme et la répression de certains segments de la population par les islamistes tout comme l’offensive en Afghanistan.  

Des polémiques ont également éclaté pour raison de conditions de travail, avec des cas de suicides dans certaines agences régionales qui ont secoué l’organisation entière. A l’origine, le premier cas de suicide concerne un chercheur d’Amnesty chargé de l’Afrique de l’Ouest, Monsieur Gaëtan Mootoo. A la suite d’une enquête en interne, le mal se révèle plus profond. Une mise en lumière se réalise sur des bouleversements accompagnés de critiques internes par le changement d’Amnesty International et de ses objectifs. L’enquête met en avant la perte de travail sur le terrain au détriment d’un approfondissement du travail en communication pour la recherche de financement : une trahison aux idéaux de Peter Benenson, son fondateur. Envers du décor chez cette ONG, avec l’évolution d’une ONG à « une multinationale » dont la priorité est le rendement et la communication. Les autres faits négatifs révélés suite à l’enquête sont une culture toxique sur l’ensemble du lieu de travail avec des cas de racisme, sexisme, intimidation et harcèlement fondés. 

En réponse à ce tremblement de terre interne, cinq des sept membres de la direction générale décident de démissionner. Cette manœuvre devant calmer les ardeurs créent une réponse complètement opposée, avec un nouveau débat polémique autour de l’indemnité grassement généreuse accordée à chaque membre (centaine de milliers d’euros par personne) alors qu’au même moment, près de 100 travailleurs perdent leur emplois, l’ONG prétextant une crise financière interne… 

Malgré des critiques fulgurantes, Amnesty continue de rayonner  internationalement avec un rôle davantage important année après année. Après s’être démultipliée, l’ONG a notamment pris part en 2018 à plusieurs millions d’actions en termes de droits humains, avec la publication également de plus de 142 rapports. Chiffrées, les dépenses globales représentent 309 millions d’euros, (+20m sur un an) dont les orientations principales sont les campagnes en droits humains, la recherche, les plaidoyers et l’éducation (46.53%), mais également près de 28% pour la construction de la base de soutien de l’ONG.

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