Phénomène de mode pour certains, réelle expansion durable pour d’autres, le vignoble français déclaré en viticulture bio croît chaque année. D’après les statistiques les plus récentes, il y aurait à l’heure actuelle, aux alentours de 100 000 hectares de vignobles bio en France, avec un accroissement annuel de la superficie de 10%. D’autres milliers d’hectares se trouveraient actuellement en pleine conversion, avec une croissance de 15% espérée pour les prochaines années.
Ce rythme « effréné » témoigne de l’ampleur de l’expansion du secteur avec désormais plus de 10% du vignoble français dont les bouteilles produites arborent le label Agriculture Biologique. La prise de conscience des producteurs et des consommateurs actuels a transformé le secteur viticole qui se tourne de plus en plus vers la spécificité biologique. Le vin bio reste encore modeste à échelle nationale, mais il grandit vite, avec une consommation en hausse et des ventes records années après années.
Tant en France comme à l’international, le marché du vin bio croît exponentiellement au détriment de la vente de vin produit suivant les méthodes traditionnelles. La France se situe sur le podium des producteurs et consommateurs au niveau international, mais est aussi le 1er exportateur si l’on se réfère à la valeur économique. Malgré un prix de 30-40% plus élevé qu’une bouteille de vin « normale », le vin bio trouve preneur, avec généralement 1/3 des Français qui se sont déjà laissés tenter à la consommation. L’affection des vins bio français ne se limite pas au territoire métropolitain, puisque près de 45% des hectolitres produits sont consommés à l’étranger. En 2018, le chiffre d'affaires du secteur venait par ailleurs de dépasser la barrière du milliard d’euros, avec une production de plus de 2.21 millions d’hectolitres. En proportion, le vin bio est d’ailleurs plus exporté que le vin français traditionnel dont la réputation n’est pourtant plus à faire. Pour la France, le vin bio est également une vitrine de son agriculture biologique en représentant près de 2/3 des ventes des produits bios français à l’étranger.
Une répartition inégale de la production
En se concentrant sur les régions productrices, on dénote des inégalités importantes avec la région Languedoc Roussillon qui regroupe à elle seule plus de 30% de la production viticole biologique totale. Aidée par des conditions climatiques plus propices à un vignoble bio, cette région devance d’autres localités importantes comme le bordelais, la Bourgogne ou encore les Côtes du Rhône. La popularité du Languedoc Roussillon en termes de vin bio est mise en valeur chaque année avec le plus grand salon de vin bio français, le millésime bio qui a lieu à Montpellier.

Comment s’effectue la conversion à l’Agriculture Biologique ?
Si un vigneron souhaite se convertir à une production de vin issue de raisins biologiques, il est nécessaire pour lui de notifier l’évolution de son activité et réaliser les différentes modifications pour s’adapter aux réglementations de la production biologique européenne. Une période de 2-3 ans est nécessaire avant l’obtention du fameux label, une période de transition complexe et fastidieuse, mais obligatoire pour afficher ensuite le label AB sur ses bouteilles.
Plusieurs phases accompagnent la conversion du vignoble, avec une première longue réflexion pour évaluer si le domaine est en capacité de prendre ce risque, de survivre à la conversion et d’avoir les moyens financiers suffisants pour se remodeler. Il est important de bien définir et évaluer son projet avec une vision à long terme pour mesurer les conséquences de la conversion. Ensuite, il existe des possibilités d’aides ou de soutiens, tant pour les démarches administratives que pour l’aspect financier. Pour commercialiser son vin sous l’appellation « agriculture biologique », le vigneron réalise au préalable une demande de certification auprès d’un organisme agréé, avec la signature d’un engagement. Les aides économiques quant à elles prennent la forme de crédits d’impôts, une aide versée pendant 5 ans, sous condition que le vigneron s’engage à convertir partiellement ou totalement son exploitation. L’objectif de ces aides est bien évidemment d’accompagner le domaine à sa conversion, de faire face aux investissements liés à l’adhésion au bio et de confronter la baisse des rendements.
En parallèle, le vigneron modifie peu à peu ses méthodes de productions en abandonnant l’usage des produits chimiques et autres engrais nocifs pour la santé et l’environnement, tout en sélectionnant les intrants autorisés. En agriculture biologique, il est nécessaire d’être plus présent pour son vignoble avec un travail préventif et constant pour veiller au bon développement de ses vignes. Il est important que le vigneron connaisse son exploitation de façon à déceler n’importe quel signe de déséquilibre au sein de son exploitation. Une mauvaise connaissance ou une surveillance laxiste peut provoquer des baisses significatives au sein de la production.
Au cours de la conversion, l’organisme de certification se déplace également au domaine pour veiller à ce qu’il respecte le cahier des charges européen de l’agriculture biologique. Des prélèvements sur les sols sont effectués pour les analyser, puis sont mis en forme à travers des rapports pour reprendre les diverses évolutions au fil des mois. Après 36 mois de travail acharné, le graal est enfin à portée des domaines et ils peuvent désormais afficher fièrement sur leurs bouteilles le logo AB qui représentera une force marketing supplémentaire lors de la vente.
Un processus de conversion long et complexe
La modification de la production de vin en vin biologique est un processus très délicat, confronté à une multitude de problèmes. En plus d’être long et difficile, ce processus laisse le vignoble à la merci des événements météorologiques et de l’environnement. Avant d’arriver à maturation et aux vendanges de fin d’été, les vignes peuvent souffrir de fortes intempéries et des climats extrêmes conduisant parfois à des vagues de froids persistantes ou des grêles intenses. Ces conditions tout comme les maladies peuvent affecter le raisin et les terres bio de façon plus régulière. Ces cultures biologiques sont prédisposées à souffrir davantage lorsque les conditions sortent de l’ordinaire, pouvant provoquer ensuite de fortes pertes pour le domaine en question et ses producteurs.
Actuellement, les techniques naturelles et écologiques utilisées pour pallier ces pertes ne sont pas des plus idéales pour lutter contre des champignons ravageurs en comparaison à la viticulture traditionnelle qui fait usage de pesticides et autres produits chimiques. En effet, en se tenant au cahier des charges de l’agriculture biologique, il y a une forte réduction des produits pouvant être utilisés pour lutter contre les intempéries ou les champignons.
L’importance démontrée du climat provoque une inégalité entre régions où certaines possèdent un avantage en cas de conversion au bio. De par leur situation géographique où le climat est plus chaud et sec, les conditions y sont idéales pour produire du vin bio. En Italie par exemple, la différence est abyssale entre les régions du sud qui produisent 15 fois plus de vin bio que les régions du nord.
Pour les domaines viticoles souhaitant passer à une production biologique en accord avec les labels AB, des difficultés économiques se font également ressentir. Ces contraintes empêchent souvent les producteurs de se convertir en les faisant douter de leur choix. La rentabilité est un des obstacles principaux. En effet, les pertes peuvent être fortes et la rentabilité difficile à atteindre notamment les premières années.
Le processus de production du vin bio est plus coûteux et les retombées économiques liées au statut bio ne surviennent seulement que 2-3 ans après le début de la conversion. Avant cela, il est impossible pour les producteurs de vendre leur vin sous le label AB tant prisé, ce qui ne leur permet pas d’augmenter le prix de vente malgré les investissements réalisés.
Certains vignobles vivant « années par années » sans moyens importants derrière eux, le retour sur investissement leur est vitale. Pour certains, faute de moyens suffisants, revenir à une viticulture traditionnelle devient la seule solution pour survivre sans faire faillite.
La réflexion de la part des producteurs doit aussi porter sur les risques à prendre, la pression des résultats et les éventuelles pertes qui peuvent être liées : pertes économiques, pertes d’emplois, parfois la vente du domaine ou encore la perte de part de marchés.
Passer au bio fait également recours à des coûts supplémentaires, notamment le coût lié à l’obtention des labels et des certifications ou la main d’œuvre additionnelle pour l’entretien des vignobles.
Pourquoi donc se convertir à une production bio ?
Toutefois, le passage à une viticulture bio représente de nombreux avantages qui permettent de compenser les obstacles énumérés.
Premièrement, on peut réaliser certaines économies sur les produits achetés pour traiter les vignes et les sols.
Les labels représentent également un argument marketing considérable, surtout si l’on considère que la vente de produits bio (notamment le vin) est un phénomène en plein essor rencontrant un succès haletant au sein de la population locale et étrangère. Avec ce label, les consommateurs témoignent d'une confiance accrue envers le produit, sa composition et son origine, des éléments qui seront déterminants lors de la vente. Tout cela permettra de compenser les investissements avec un prix à l’achat plus onéreux et fera que le client est prédisposé à dépenser plus pour ce que le vin bio peut lui offrir. Le respect de l’environnement et la qualité des produits sont les deux atouts principaux du vin biologique en comparaison à un vin non bio, au-delà de son aspect favorable pour la santé et de ses meilleures qualités nutritionnelles.
Pour les producteurs plus particulièrement, le “ralliement” au bio repose sur des valeurs éthiques, morales et parfois sur des attraits économiques. En effet, certains effectuent la conversion de manière intuitive par simple conscience environnementale. L’évolution des mentalités provoque également une valorisation croissante des produits d’origine biologique et transforme la conviction éthique : respecter les sols, la vigne et être plus proche de la nature sont des notions qui prennent de plus en plus d’importance. L’impact à moyen/long-terme des produits chimiques utilisés sur la santé, les sols et aussi la qualité nutritionnelle des raisins provoque une prise de conscience au sein des producteurs.
Au niveau économique, si la région de récolte est appropriée pour une production bio, les revenus au moyen-long terme peuvent être plus importants tout en permettant d’ouvrir de nouveaux marchés (notamment la distribution spécialisée bio).
Les producteurs se convertissent désormais plus aisément au bio, une constante qui devrait s’installer dans l’industrie viticole tant la consommation de produits bio s’accélère, avec des produits devenus tendances auprès des consommateurs. Avec le dérèglement climatique actuel et des conditions météorologiques plus aléatoires, il pourrait toutefois être plus délicat pour un vigneron de convertir son domaine à une production viticole biologique.
Commentaires