Quand le complotisme s’empare de la sphère politique

À l’occasion de la crise sanitaire et de la campagne électorale de 2022, plusieurs candidats n’ont pas hésité à utiliser des ressorts complotistes pour se faire connaître et rallier des votes. Le chercheur Julien Giry évoque ainsi le « conspirationnisme opportuniste » de la part de « petits candidats », comme Nicolas Dupont-Aignan, Florian Philippot ou François Asselineau, qui « reprennent cette rhétorique dans l’espoir de la monétiser dans le champ politique ». Ces personnalités d’extrême droite portent un discours anti-élites pour fédérer un mouvement de protestation populaire. Une stratégie utilisée avec succès par Donald Trump, Jair Bolsonaro ou Vladimir Poutine, qui fait des émules en France.

Nicolas Dupont-Aignan : « comme par hasard ! »

Avec ses 725.000 voix à la présidentielle (2,06 %), Nicolas Dupont-Aignan (NDA) est l’un des principales figures de ces populismes d’extrême-droite surfant sur le complotisme. Autoproclamé premier « résistant » à la « dictature sanitaire », le président de Debout la France n’a pas hésité à défiler avec les antivax, ni à prendre comme conseiller santé un héros de la complosphère antivax, décédé depuis du Covid. Contre l’évidence scientifique, il a persisté à tresser les louanges de l’hydroxychloroquine et du professeur Raoult, dont il voulait même faire son ministre de la Santé.

En décembre 2022, le député de l’Essonne a même assuré sur sa chaîne YouTube la promotion d’un livre complotiste sur le Covid. Un ouvrage qui prétend que l’épidémie aurait pu « passer comme une lettre à la poste avec de l’hydroxychloroquine », que « tous les bébés nés d’une mère vaccinée attrapent la bronchiolite », et même que le vaccin « se diffuse », comme le virus, d’une personne à une autre, sans injection préalable. Mais pour NDA, il s’agit d’« un livre incroyable. Le livre que j'aurais rêvé écrire si j’en avais le temps et le talent ». « Ce qui est intéressant, c’est qu’on sort du bavardage. On est dans la science », ose même le souverainiste. 

Durant la campagne présidentielle, celui-ci appelait aussi les électeurs à ne pas se fier aux sondages ni aux médias « qui veulent vous imposer leur président ». Il adhère à la théorie du « grand remplacement », comme son ami Eric Zemmour, et a exprimé ses doutes sur les causes de l’incendie de Notre-Dame, évoquant, pour appuyer ses dires, un climat « antichrétiens » en France.

Véritable « éponge à fake news », NDA a également dénoncé le Pacte de Marrakech en 2018, qui « vend la France à l’ONU », puis le président de la République qui, « tel un Judas », s’apprête à « livrer l’Alsace et la Lorraine » à l’Allemagne. Invité de LCI le 28 mars 2023, il a aussi laissé entendre que l’irruption des casseurs dans les manifestations contre la réforme de la retraite ne devait rien au hasard. « Comme par hasard ! » est d’ailleurs son expression favorite, traduisant sa vision complotiste de l’actualité.

Florian Philippot drague l’électorat complotiste

Son allié, Florian Philippot, est aussi l’une des principales incarnations de cette dérive complotiste. Dès la mi-2020, le président des Patriotes a organisé des rassemblements hebdomadaires pour dénoncer la « dictature sanitaire » et le passe vaccinal, aux côtés de personnalités comme Francis Lalanne, Jean-Marie Bigard ou Martine Wonner, ex-députée LREM du Bas-Rhin désormais à la tête de son propre parti, qui a accusé le gouvernement et les soignants de « crime contre l’humanité ».

L’ancien n°2 du Front national drague sans vergogne l’électorat complotiste sur les réseaux sociaux, dénonçant la « tyrannie covidiste ». Pour lui, l’impact du coronavirus a été sciemment exagéré et le fait d’imposer la vaccination a fait de la France l’une des pires dictatures. Une manipulation qui profiterait selon lui aux laboratoires, à l’Union européenne et au gouvernement. Autoproclamé chef de « la résistance », il a basculé dans une « idéologie consistant à justifier une situation par le fait qu’il existe des gens, tapis dans l’ombre, tirant toutes les ficelles », définition même du complotisme selon le chercheur Antoine Bristielle.

Les Décodeurs du Monde ont décortiqué la manière dont l’énarque a adapté son discours aux militants antivax, multipliant les diatribes anti-passe, antivax et anti-élites, et n’hésitant pas à partager des informations fausses ou orientées. Son discours épouse les trois principaux marqueurs d’une rhétorique complotiste : la planification (le Covid est associé à un « pacte mondial de corruption » ou à un « agenda mondialiste »), le secret (il évoque une « réalité inavouable ») et l’élite malfaisante (« l’ordre oligarchique », « une mafia internationale »).

Mais si la stratégie digitale fonctionne en termes d’abonnés sur Youtube, Twitter et Facebook, ce capital de fidèles ne se traduit pas dans les urnes. Florian Philippot n’a obtenu que 4,62 % des voix aux dernières élections législatives, preuve que popularité sur les réseaux sociaux n’est pas synonyme de votes réels. Mais la fonction d’influenceur complotiste semble satisfaire son ego.

Vincent Delahaye : un vice-président du Sénat antivax

Outre l’espoir d’hypothétiques gains électoraux, la recherche de notoriété semble en effet jouer un rôle important chez les politiques tentés par les sirènes complotistes. C’est le cas pour le vice-président du Sénat et sénateur UDI Vincent Delahaye, placé sous le feu des critiques en mai 2021 pour avoir participé à un rassemblement d’antivax. Une réunion contre « la dictature sanitaire » de 200 à 300 personnes, toutes sans masque, organisée par le collectif Ami entends-tu et à l’appel d’Alexandra Henrion-Caude, ex-généticienne devenue icône complotiste.

Ce rassemblement a choqué après la diffusion sur les réseaux sociaux et dans les médias de propos tenus par des participants. À l’image de cette manifestante qui, devant les caméras, se risque à une comparaison historique plus que douteuse : « C’est le quatrième Reich, c’est la fête des nazis, ces SS qui nous obligent à porter des masques et à avoir le pass sanitaire ». Jean-Marie Bigard a également pris la parole pour accuser en termes orduriers les ex-ministres de la Santé Olivier Véran et Agnès Buzyn. « Ils ont du sang sur les mains, ils le paieront et mourront de leur cupidité », affirme-t-il sur les images de Quotidien. « Pourquoi ils ne nous colleraient pas une étoile jaune pour qu’on soit repérés plus facilement ? », s’est-il aussi écrié face aux manifestants, dont certains arboraient une étoile jaune sur leurs vêtements.

Il est pour le moins curieux de voir un vice-président du Sénat prendre part à une telle manifestation. Si Vincent Delahaye a fait amende honorable peu après cette sortie malvenue, on peut s’interroger sur les motivations qui ont poussé un élu de la République à se rendre à un tel événement.

Pozzo di Borgo, complotiste antivax et pro-Poutine

Autre politique associé au complotisme, l’ex-sénateur UDI Yves Pozzo di Borgo défend, quant à lui, depuis quelques années des positions antivax et pro-Poutine. Cet ancien sénateur de Paris se charge notamment de relayer les arguments du Kremlin pour justifier l’agression militaire de la Russie. « Poutine révèle que le coronavirus faisait partie du programme d’armes biologiques en Ukraine ! », écrit-il par exemple. Il accuse aussi les renseignements britanniques d’être responsables du massacre de Boutcha. Invité dans certains médias comme l’émission d’André Bercoff, sur Sud Radio, l’ex-sénateur apporte une audience française inespérée au Kremlin.

Dans ses publications, les théories du complot sur la guerre en Ukraine côtoient autant de fictions sur les vaccins contre le Covid, lesquels seraient « à l’origine d’une forme de SIDA ». Yves Pozzo di Borgo se fait le porte-voix des théories les plus folles et le relais des sites conspirationnistes les plus toxiques. C’est tout l’écosystème complotiste français qui y passe, et ses obsessions les plus classiques, de « l’État profond » au milliardaire juif américain George Soros.

Les virus circulent et certains (ir)responsables politiques sont particulièrement sujets à une contamination par celui du complotisme. Triste et dangereuse réalité.