Aujourd’hui, la professionnalisation de la politique est un phénomène de plus en plus observable en France, avec un président élu au suffrage universel direct qui représente parfaitement ce que l’on peut qualifier comme étant un « homme politique ». Cependant, nous sommes en droit de nous demander si cela est et a toujours été le cas, notamment lorsqu’il est élu au suffrage indirect.
Si aujourd’hui cette professionnalisation de la politique met à la tête du pays des hommes et des femmes avec de vraies carrières politiques, il faut être conscient que ce n’est tout de même pas nouveau. L’exemple le plus concret pour illustrer cela reste celui des élections présidentielles lors de la 3ème République, le plus long régime institutionnel de France pour le moment.
En effet le président de la République était élu à cette époque au suffrage indirect : la Chambre des députés ainsi que le Sénat (2 chambres du Parlement) se réunissaient pour former l’Assemblée Nationale qui élisait alors le président de la République à Versailles. Sous la 3ème République, la Constitution donnait à la base un grand pouvoir au président, si bien que l’historien René Rémond a plus tard décrit le président comme « un monarque sans l’hérédité ». Mais la crise du 16 mai 1877 va changer cela, limitant les pouvoirs du président qui sera alors plus considéré comme une figure de représentation qu’une véritable figure politique de poids : ses pouvoirs sont moqués, on dit même qu’il est « un inaugurateur de chrysanthèmes ». Cela s’explique par le fait qu’à l’époque, on considère que le Parlement est le représentant du peuple, par conséquent, lors de la 3ème (mais aussi la 4ème République), le pouvoir législatif (Parlement) est plus fort que l’exécutif (gouvernement).

Homme politique ou politisé ?
Il serait alors tentant de dire que le président n’est en réalité par un vrai homme politique puisque son titre semble seulement honorifique, cependant cela n’est pas forcément vrai. En effet, si le Parlement devait élire une simple autorité morale sans réelle fonction derrière, les élections présidentielles ne seraient pas un vrai enjeu. Et pourtant cela n’est pas le cas, car ces mêmes élections vont pour la plupart être spéciales.
Par exemple en 1887, Jules Ferry, ancien président du Conseil, favori (comme c’est souvent le cas pour les présidents du Conseil), espère pouvoir être élu. Il est reconnu par beaucoup comme ayant la vraie envergure d’un homme de pouvoir mais il se heurte à des ennemis puissants qui l’empêcheront d’être élu au profit de Sadi Carnot, un autre membre de son parti. Deux choses peuvent alors être remarquées : tout d’abord, cette élection montre bien que le Parlement ne prend pas à la légère la personne qu’il élira président, en témoigne la bataille acharnée lors de cette élection de 1887. Et le deuxième élément est que l’on pourrait croire que Sadi Carnot a été placé là par dépit, sous la contrainte, et ne devrait pas être là car il n’a pas l’expérience politique. Or cela n’est pas vrai. Député de la Côte-d’Or, préfet de la Seine-Inférieure, Ministre des Finances, Ministre des Travaux Publics, Sadi Carnot n’a pas l’allure d’un débutant en politique et à ce titre il ne peut pas ne pas être considéré comme un homme politique.
Cette situation est assez représentative de ce que sont les élections présidentielles à cette époque, les partis se battent pour installer leur candidat au poste de Président ou même parfois juste pour empêcher un homme d’y accéder, c’est le cas de Jules Ferry sous la 3ème République, mais aussi de Joseph Laniel sous la 4ème République. En effet, Président du Conseil, Joseph Laniel est favori en 1953 pour être le successeur de Vincent Auriol mais une fois de plus rien ne va se passer comme prévu.
Alors que tout s’est bien passé en 1947, ces élections présidentielles vont voir 13 tours se dérouler, un record historique en France. L’explication ? La volonté d’association pour empêcher Laniel d’atteindre la majorité des voix. Il n’atteindra jamais la majorité et se retirera de l’élection pour voir René Coty l’emporter, un candidat du même parti que lui. Tous les présidents de la 3ème et de la 4ème République furent donc des hommes ayant eu de vraies carrières politiques, ce qui n’est pas forcément le cas dans d’autres pays.
Ailleurs, le débat continue
Aux Etats-Unis, Donald Trump fut élu au suffrage indirect comme le veut la Constitution américaine, cependant il est dur de le considérer comme un homme politique. En effet, sa carrière politique n’a réellement « débuté » que lorsqu’il fut élu président des Etats-Unis. Trump est un grand homme d’affaires, mais il n’est pas ce que l’on pourrait définir comme un réel homme politique. Cet aspect est d’autant plus renforcé que l’attitude provocatrice de Donald Trump ne ressemble en rien à l’image de l’homme politique classique.
Cette manière de faire, si différente, peut aussi se retrouver en France chez Alexandre Millerand. Président de 1920 à 1924, lui aussi va casser les codes politiques classiques notamment en brisant la tradition de neutralité du président. Son attitude, ses propos, vont alors remettre en cause le statut d’homme politique de Millerand. Pour beaucoup, être un homme politique, c’est aussi avoir conscience de ses responsabilités et respecter ses devoirs, choses que Millerand ne fera pas et qu’il paiera lorsqu’il sera poussé à la démission plus tard.
En Italie par exemple, la neutralité du président ne lui confère pas de réelle autonomie constitutionnelle. Il existe une sorte de césure politique entre le chef du gouvernement (Président du Conseil des ministres) et le président que l’on retrouve aussi en Israël (avec le 1er ministre) et en Allemagne (avec le chancelier). Cet argument est le principal utilisé pour montrer que les présidents élus au suffrage indirect ne sont pas des hommes politiques, ce qui pourrait peut-être expliquer le grand nombre de démissions de présidents sous la 3ème République (6). Cependant, tout n'est donc pas aussi simple partout dans le monde, et il est clair qu'il n'existe pas de réponse universelle à cette question, car elle dépend simplement du contexte, de la période ou tout simplement du régime politique appliqué.
Arsène Gay
Commentaires