Une pétition sur le site Internet change.org, initiée par le journaliste Laurent Kupferman et adressée au président Emmanuel Macron, Osez Joséphine Baker au Panthéon !, a obtenu 37 827 signatures. Cela a suffi pour inciter le magistrat suprême à décider de panthéoniser à titre posthume l’artiste en tant que femme engagée et résistante. Cette reconnaissance deviendrait officielle lors de la cérémonie prévue à Paris le 30 novembre 2021, le jour anniversaire de la naturalisation française de Joséphine.
Même si Joséphine Baker va entrer au Panthéon, sa dépouille continuera à reposer en paix au cimetière de Monaco à la demande de ses enfants. Néanmoins, a-t-on appris récemment, le cénotaphe sera rempli avec de la terre rapatriée par avion de sa terre natale Saint-Louis, ainsi que de Paris, la ville où elle a connu ses moments de gloire comme artiste, également de Dordogne (château des Milandes) et de Monaco.
Freda Joséphine McDonald est venue au monde le 3 juin 1906 à Saint-Louis, dans le Missouri aux États-Unis, d’une mère métisse noire indienne, Carrie McDonald, et d’un père dont elle n’a rien su, peut-être d’origine espagnole, Eddie Carson. Ayant vécu dans la misère et dans un conflit permanent avec sa mère, elle a travaillé en alternance avec l’école et s’est mariée pour la première fois à 13 ans avec un nommé Willie Wells. Mais elle resterait épouse pendant une courte durée. Lors d’une étape de la tournée de la troupe itinérante des Dixie Steppers à Philadelphie, Joséphine a fait la connaissance de William Howard Baker, qu’elle épouserait en 1921. Pour gagner sa vie, elle a dansé pour 10 dollars la semaine au Standard Theater. Mais elle a quitté son second mari et tenté sa chance à New York. Adolescente d’à peine 16 ans, elle triompherait à Broadway dans le Shuffle Along, une comédie musicale produite et chantée par des Noirs. Elle a foulé, à l’âge de 18 ans, les planches du Plantation Club à Broadway. Elle y a fait la rencontre de la mondaine Caroline Dudley Reagan, épouse de l’attaché commercial de l’ambassade américaine à Paris, Donald J. Reagan. Ce dernier lui a proposé un salaire de 250 dollars par semaine, si elle acceptait de la suivre en France. Il voulait y monter un spectacle, la Revue nègre, dont Joséphine Baker serait la vedette et qui ferait d’elle une star. Le 25 septembre 1925, âgée de 19 ans, elle est donc arrivée à Paris.
L’Américaine d’origines à la fois espagnole, afro-américaine et amérindienne s’est produite le 25 octobre 1925, sous le nom d’artiste Joséphine Baker, en première partie de la Revue Nègre au Théâtre des Champs-Élysées, dans une salle pleine. À peine vêtue d’un pagne formé de bananes, elle a dansé et dandiné de façon suggestive sur un rythme de charleston, musique alors inconnue du Vieux Continent. Robert de Flers, membre de l’Académie Française et critique au quotidien Le Figaro, a manifesté le dégoût que lui a inspiré la Revue Nègre et Joséphine Baker. Conscient du fait que « des esprits ingénieux et délicats ont trouvé à ce divertissement une délectation secrète », le spectacle lui a inspiré à Robert de la colère et de la honte. Mais le scandale a fait place à l’engouement général, et Joséphine Baker est devenue l’égérie des cubistes envoûtés par son style et ses formes. Déjà conquis par le jazz et les musiques noires, les Parisiens ont accueilli avec enthousiasme les spectacles de la danseuse à la ceinture de bananes. En 1926, le style des cheveux courts gominés à l’aide de la Bakerfix, une pommade employée pour les cheveux courts, a battu en brèche la mode des cheveux longs. En 1927, elle s’est produite pour la première fois avec le théâtre des Folies Bergère pour une revue dans laquelle elle jouerait l’un des premiers rôles. Cette même année, elle s’est lancée dans la chanson et a remporté, en 1930, un succès inoubliable avec le morceau J’ai deux amours, composé par Vincent Scotto. Ensuite, elle a fait une tournée en Europe puis a joué avec Jean Gabin dans le film Zou-zou de Marc Allégret et dans Princesse Tamtam en 1935, après avoir tourné en 1927 dans un film muet La sirène des tropiques. Le critique Alexandre Arnoux a déploré le fait de ne pas avoir donné à cette « Réjane de couleur » des rôles dignes de ses possibilités. Pour un autre journaliste, « le cinéma s’[était] servi d’elle mais ne l’[avait] pas servie ».
Après son troisième mariage à Crèvecœur-le-Grand dans l’Oise en 1937 avec Jean Lion, un jeune raffineur français, Joséphine Baker a obtenu la nationalité française. La popularité de son époux lui servirait dans la lutte contre le racisme et pour l’émancipation des Noirs. Mais ils se sépareraient au bout de quatorze mois.
Recrutée en septembre 1939 par le Deuxième Bureau, Joséphine Baker a glané entre septembre 1939 et mai 1940, en pleine drôle de guerre, des informations sur l’emplacement des troupes allemandes qu’elle a pu récolter auprès des officiels rencontrés dans des soirées. Effectivement, après s’être engagée auprès de la Croix Rouge comme couverture et avoir transformé le château des Milandes en un haut lieu de la Résistance, elle a fait passer des messages secrets dissimulés dans les notes de ses partitions et dans son soutien-gorge.
Si elle a bénévolement donné des spectacles en 1942 en Afrique du Nord, dans des moments difficiles et dans un état de santé très délicat, c’était pour contribuer à la libération de la France. Elle le ferait également pour les soldats français, britanniques et américains. Elle a aussi voulu faciliter l’unité dans l’armée américaine face à l’ennemie nazie. Du moins, elle a essayé de venir à bout de la ségrégation épidermique qui la divisait. Cela révulsait l’artiste combattante de la France Libre.
Au printemps 1943 à Alger, le général de Gaulle a offert à Joséphine Baker une petite croix de Lorraine en or pour la remercier de ses services. Elle est devenue son ambassadrice, puis son canal de propagande en Afrique du Nord. Le 23 mai 1944, elle s’est engagée pour la durée de la guerre, plus trois mois, dans l’armée de l’air française et deviendrait sous-lieutenant des troupes féminines auxiliaires, ensuite rédactrice première classe, échelon officier de propagande affectée à l’état-major général de l’air. Elle serait détachée à la sixième sous-section administrative, services des « Liaisons secours » et, enfin, au bataillon de l’air 117.
En octobre 1946, Joséphine Baker s’est retrouvée dans une clinique de Neuilly pour une opération au ventre lorsque le colonel Guy Baucheron de Boissoudy lui a épinglé la médaille de la Résistance, avec rosette, sous les yeux d’Élisabeth de Boissieu, la fille du général De Gaulle. Mais, à deux reprises sa distinction au rang de Chevalier de la Légion d’honneur serait rejetée en 1947 et en 1949. Finalement, en 1957, Jacques Chaban-Delmas, alors ministre de la Défense nationale et des Forces armées, signerait un décret attribuant à Joséphine Baker cette plus haute distinction française. Entre-temps, en 1947, elle a épousé en quatrièmes noces le chef d’orchestre Jo Bouillon. Ce mariage l’inciterait à fonder un « Village du Monde, Capitale de la Fraternité universelle » pour montrer que des enfants de nationalités et de religions différentes pourraient vivre ensemble dans la paix. Le couple n’ayant pas pu avoir des enfants, il en adopterait.
Lors de son séjour aux États-Unis entre 1948 et 1952, Joséphine Baker a été victime de la ségrégation. Au moment de l’incident survenu le 16 octobre 1951 au Stork Club, où sévissait l’antipathique et raciste chef de cabaret Sherman Billingsley, elle a en effet été traitée de communiste, de sympathisante des fascistes italiens, d’antisémite et d’ennemie du peuple noir par le journaliste Walter Winchell qui avait décidé de salir sa réputation et de briser sa carrière dans les colonnes du New York Dailly Miror. En 1955, elle a relayé en Europe la vague d’indignation soulevée par le meurtre du jeune Afro-Américain Emmett Till ayant été commis dans le Mississippi, suivi de l’acquittement de leurs auteurs blancs et, une fois assurés de l’impunité, de leurs cyniques aveux après le jugement. Elle bénéficierait, pour cette action, du soutien de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA).
De retour en France après ses pérégrinations outre-Atlantique, Joséphine Baker est initiée en Franc-Maçonnerie, le 6 mars 1960, dans la Loge La Nouvelle Jérusalem de la Grande Loge féminine de France. Mais les années soixante ont constitué, pour l’artiste, la période la plus troublée : séparation avec Jo Bouillon, le poids des dettes, la course aux cachets à Paris et en tournée, sans compter son combat pour l’égalité et la fraternité des peuples.
Le 18 août 1961, dans le domaine des Milandes, le général Martial Valin lui a remis les insignes de la Légion d’honneur, ainsi que la Croix de Guerre avec palme. Elle participerait en 1963 à la « Marche de Washington », organisée par Martin Luther King, afin d’obtenir davantage d’emplois et de liberté pour les Noirs. C’était Robert Kennedy (dit Bob) qui lui a obtenu le visa d’entrée aux États-Unis. Ayant porté avec élégance son uniforme de l’armée française et ses médailles de résistante, elle se tiendrait parmi les officiels sur l’estrade. D’aucuns supposeraient d’ailleurs qu’elle aurait inspiré le sublime discours du Pasteur King, I have a dream, véritable hymne à la fraternité universelle et à la quintessence maçonnique.
Très endettée, Joséphine Baker a été contrainte de mettre en vente son château en 1964. Mais l’opération immobilière serait évitée, grâce à une intervention télévisée de Brigitte Bardot. Construit en 1489 pour sa dame Claude de Cardaillac par François de Caumont, seigneur de Castelnaud, le bâtiment de Renaissance serait vendu en 1968 en dessous de la moitié de sa valeur. Joséphine serait expulsée des Milandes en mars 1969.
Le 8 avril 1975, la salle de Bobino a célébré les cinquante années de carrière de Joséphine Baker. Elle tirerait sa révérence à 69 ans quatre jours plus tard, le 12 avril dans le 13ème arrondissement de Paris, à cause d’une hémorragie cérébrale. Les funérailles nationales télévisées auxquelles elle a eu droit ont été presque sans précédent pour un artiste. Ainsi a-t-elle été la première femme d’origine étrangère à avoir reçu les honneurs militaires français.
La Vénus d’ébène s’est intelligemment servie de l’image propre à une sensation exotique et au déhanchement incroyable. Elle a su manipuler le public, façonner son personnage artistique au profit de l’émancipation et de toute forme de liberté, définir à sa manière sa destinée.
Avec son entrée au Panthéon, après Toussaint Louverture en 1998 sous la forme d’une inscription commémorative, la France assume avec fierté sa pluralité. Ce pays rappelle au monde entier qu’elle reste à la fois multiple et indivisible. Il est surtout question de prise de conscience, de ce qu’est en réalité la France du troisième millénaire.
Merci infiniment, très chère Joséphine, pour ce que vous avez accompli pour la France en tant que chanteuse, danseuse, actrice, meneuse de revue, gaulliste de la première heure et résistante ! Merci beaucoup pour le combat mené en vue de la dignité des immigrés et du triomphe des valeurs humanistes !
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