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Interview

Margaux Hélard, le chemin d’une écrivain passionnée

Dans une semaine, le 28 janvier, « Buveuse de fronts » le premier livre de Margaux Hélard sera disponible dans toutes les libraires. Après plusieurs années de travail, elle nous raconte comment elle a posé le point final à ce premier roman.

Sans en dire trop, de quoi parle « Buveuse de fronts » ?
Ce livre raconte l’histoire d’une famille au XXe siècle. C’est celle de René, le personnage principal, et de sa famille, ballottés de 1914 à 1959 dans les péripéties d’une existence mouvementée où les guerres reviennent régulièrement.

Quand avez-vous commencé à écrire ce roman ?
J’ai commencé à écrire dans mon premier carnet en 2014, je me souviens j’étais dans le train en direction de la Bretagne pour aller y passer les vacances de Noël et c’est là que j’ai vraiment commencé à y réfléchir.

Comment avez-vous trouvé l’inspiration pour écrire ce premier livre ?
J’ai toujours été passionnée par l’histoire, avec un grand H. Quand j’étais en prépa littéraire mes cours étaient centrés sur l’histoire et ça m’a beaucoup marquée. Il faut dire qu’on avait d’excellents professeurs, je me souviens l’un d’entre eux nous avait donné des lettres de sa propre famille à étudier et j’avais mené l’enquête. Tout cela a vraiment forgé mon goût pour cette période historique que je raconte dans ce premier roman.

Et comment on se lance ? On est nombreux à avoir des idées, des passions, mais à quel moment décide-t-on de tout rassembler et d’écrire un livre ?
C’est dans ce fameux train en direction de la Bretagne que j’ai eu le déclic. J’avais presque raté le train, ils avaient dû nous évacuer parce qu’ils avaient trouvé une bombe de la Seconde Guerre mondiale. À ce moment-là, je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose. C’est le passé qui arrivait, comme ça, incognito dans le présent, des années plus tard. La guerre, la mémoire de la guerre elle est toujours là, elle est enfouie, même dans la terre, il y a des bombes qui peuvent encore exploser. Je l’ai pris comme un signe. C’est un épisode que j’ai repris plus tard dans mon livre.

Comment est venue l’inspiration pour René, le personnage principal ?
Ça vient de ma famille. Mon arrière grand père a laissé une sorte de petite histoire où il raconte que pendant la Première Guerre mondiale. Il s’est retrouvé dans un petit village des Ardennes, non loin d’une triple frontière entre l’Allemagne, le Luxembourg et la France. Quand ils l’ont retrouvé, à l’âge de onze ans, il ne savait presque plus parler français. Il raconte dans le manuscrit qu’il a laissé, qu’il avait même du mal à appeler sa mère « maman », parfois il disait « madame ». Alors, je me suis appuyée sur ce témoignage, mais c’est allé au-delà. Cette bombe dans le train a réellement explosé, enfin je dirais plutôt implosé, puis j’ai redécouvert cette histoire de mon enfance, cette mémoire de la guerre. Je me suis demandée ce qu’il en restait, ce que je pouvais en faire en tant que descendante, héritière de tout ça. Je me suis dit que je n’avais pas envie qu’on oublie cette histoire, je voulais en faire quelque chose.

Comment on s’organise pour écrire un livre ?
Au départ, j’écrivais à la main sur des carnets dans le train, en allant au travail ou en rentrant. J’avais une heure de transport donc dès que je pouvais écrire, j’écrivais. Le week-end aussi, je me fixais l’objectif d’écrire tout le samedi. Puis, j’ai arrêté de travailler, je suis restée trois mois au chômage et là je l’ai fini. Je pense que pour aboutir à cette première version il m’a fallu onze mois.

Et comment on trouve toutes ces informations ? Comment est-ce qu’on s’y prend pour les recherches quand on écrit un roman historique ? Parce que même s’il y a de la fiction, on ne peut pas réinventer l’histoire…
Pour écrire Buveuse de Fronts, je suis allée dans les Ardennes, sur place. Je suis allée dans le petit village de Pure où se déroule l’action du roman. J’ai vu les paysages, j’ai vu la cote de Pure, je l’ai montée et elle est costaud (rires). C’était important aussi d’entendre les accents des Ardennes parce que je dis que c’est un accent très terreux dans le livre et j’ai pu le ressentir. Après, pour tout le côté historique, il me manquait des choses. J’ai beaucoup lu pour m’informer, j’ai acheté des tas de livres pour vraiment m’imprégner de cette période. J’ai aussi écrit aussi à mes anciens professeurs d’histoire de Khâgne en leur faisant part de mon projet. Ils m’ont conseillé des ouvrages, par exemple un livre sur les enfants pendant la Première Guerre mondiale et ça m’a beaucoup aidé pour le personnage de René parce que je n’avais que ce petit manuscrit de mon arrière grand père mais ce n’était pas suffisant pour tout le côté historique. C’était très important pour moi, je ne veux pas raconter n’importe quoi dans un roman historique. D’ailleurs, j’aime bien cette phrase de Colette « c’est avec des petits détails qu’on fait des grands romans ». Je suis même allée vérifier la météo ! Je voulais être sûre du temps qu’il faisait en 1919 pour ne pas raconter de bêtises. « Mentir vrai », c’est Aragon qui dit ça, j’essaie de mentir vrai quand j’écris.

Une fois que c’est écrit, j’imagine qu'on se met à la recherche d’un éditeur. Comment s’est passé cette étape ?
J’ai eu un petit coup de chance quand même pour cette étape là : j’ai rencontré Monsieur Bluteau, mon éditeur, à la librairie. J’allais m’acheter un livre et ma libraire nous a présentés, coup de bol j’avais mon manuscrit dans mon sac à dos, je lui ai proposé et il l’a emmené avec lui. Avant ça, j’avais déjà tenté d’envoyer mon manuscrit à plusieurs maisons d’éditions mais je n’avais eu que des refus. Deux jours après cette rencontre, il m’a appelé pour me dire qu’il acceptait le projet, mais qu’il y avait encore beaucoup de travail et c’est vrai qu’on a beaucoup travaillé depuis.

Qu’est-ce qu’il a fallu retravailler par rapport à la première version ?
On a énormément réduit le texte, je suis allée à l’essentiel, il faut écrire simple. Il y avait beaucoup plus de pages, j’ai du faire le deuil de beaucoup de choses, on est passé d’environ quatre-cent pages à deux-cent maintenant. On a repris tout le livre pendant un sacré bout de temps, parce que j’ai mis deux ans finalement à tout terminer, mais on l’a fait avec mes yeux, c’est ce que je voulais faire et ça s’est vraiment très bien passé. J’ai apprécié qu’on garde mon intention dans la structure, je voulais vraiment mélanger le temps. Après, en recoupant mes différents carnets et mes différentes versions, je me suis rendue compte que les passages où mon éditeur n’avait rien à dire ou presque, c’est ce que j’avais commencé à écrire à la main. Et quand il disait que c’était une catastrophe, j’avais écrit directement à l’ordinateur. Donc, c’est vraiment un métier manuel d’écrire : « manus » c’est la main en latin. Je suis vraiment retournée aux sources dans cette réécriture, j’ai compris qu’en fait moins on en dit, mieux c’est. Si l’écrivain en dit trop, le lecteur n’a plus rien à imaginer, plus d’hypothèses à créer, et on perd ce dialogue entre l’écrivain, le texte et le lecteur. Il faut faire confiance à son lecteur et c’est grâce à cette sincérité je pense que j’ai trouvé mon style qui est plus vif et qui va à l’essentiel.

Comment l’avez-vous pris de devoir retravailler autant votre texte ?
Il n’y a pas d’école pour devenir écrivain, alors je me suis dit que ça allait être la mienne. J’étais déjà tellement surprise et heureuse qu’on me dise oui pour mon premier roman. Certains écrivains doivent écrire parfois plusieurs manuscrits avant de pouvoir en publier un. Je me suis tout de suite rendue compte de la chance que j’avais. C’est vrai que j’avais ce côté khâgneux qui veut parfois en montrer des tartines, montrer que du savoir,… Mais non, il faut épurer, faire simple. En fait, faire simple c’est ce qu’il y a de plus dur, mais pas que dans l’écriture dans la vie aussi en général.

Après votre prépa littéraire, vous avez fait une école de journalisme. Qu’est-ce que ça vous a apporté ?
Je pense que ça m’a aidé à m’intéresser davantage aux gens. Le journalisme, c’est donner une voix à ceux qui n’en ont pas, pour les aider, faire entendre leurs opinions, leurs problèmes et ça m’a sensibilisé à cet aspect. Ça permet aussi de faire beaucoup de recherches, de savoir parler de quelque chose avec un angle original. J’essaie de chercher par exemple, dans le livre je ne parle pas forcément du débarquement du 6 juin 1944, je parle de ce qui s’est passé avant. C’est un événement peut être plus secondaire, mais qui a de l’importance pour les personnages. J’essaie de communiquer entre la grande histoire avec un grand H et les petites histoires des gens et je crois que ça c’est un côté journaliste qui est resté.

Avec le recul et les relectures, est-ce qu’il y a des choses que vous regrettez où que vous auriez pu écrire différemment ?
Non, je ne pense pas. Avec mon éditeur, nous sommes vraiment fiers de tout le travail qui a été accompli. Nous sommes arrivés au bout du projet, on l’a mis tellement sans dessus-dessous, je pense qu’on a livré quelque chose de qualité qui tient la route et je n’ai pas honte en le lisant.

Vous serez au salon du livre au printemps prochain, c’est un peu comme un rêve qui se réalise ?
Oui, j’ai hâte ! Ce sera du 28 au 31 mai 2021, si tout va bien. Mais, c’est encore assez surréaliste pour moi d’en parler, j’ai l’impression qu’on me parle de quelqu’un d’autre ! (Rires). Je préfère rester humble, parce que c’est vraiment beaucoup de travail. Maintenant, j’ai hâte de rencontrer des lecteurs qui vont m’expliquer ce que j’ai écrit, qui vont voir des choses que je n’ai sûrement pas vu. Je vois un peu ça comme une grande réunion de famille, j’ai hâte de discuter avec les gens, qu’on parle des personnages ensemble, qu’on se donne des nouvelles de René et de tante Marthe. Et puis, ça va aussi me permettre de passer à autre chose, au prochain livre. Je n’en ai pas marre du tout, mais j’ai besoin que René vole de ses propres ailes maintenant, tel un enfant qui quitte le foyer familial pour aller faire ses propres rencontres, ses propres expériences, et qu’il vive.

Ah ! Et le deuxième roman, il en est où ?
Il avance ! Ce qui me plait c’est de voir que j’ai progressé entre les deux. Maintenant, je me surveille moi même. J’avais un peu laissé le deuxième manuscrit de côté et en le reprenant, j’ai vu que j’avais écrit « un cube privé de mouvement » pour décrire un immeuble. Et là, dans ma tête, j’ai entendu Stendhal ricaner en me disant « mais tu peux pas dire immeuble tout simplement ? » (Rires) Donc voilà, il faut aller à l’essentiel, faire simple et je suis contente de l’avoir compris.

Comment vous sentez-vous à J-7 de la sortie officielle ?
J’ai du mal à m’endormir ! C’est parce que je veux bien faire les choses, je veux me rendre disponible pour répondre aux questions, pour qu’on parle de ce livre, de cette histoire, de ces personnages qui sont devenus mes enfants. Il faut qu’ils trouvent leurs lecteurs. Maintenant j’ai hâte de passer à la réception, de voir ce que les gens ont vu.

Est-ce qu’il y a quelque chose que l’on vous a dit qui vous a particulièrement touché depuis l’annonce de la sortie de Buveuse de fronts ?
Mon éditeur m’a dit « le mérite te revient ». C’était vraiment chouette. Il m’a dit que tous les auteurs n’étaient pas capables de faire ce que j’ai fait, de reprendre un manuscrit pendant deux ans et de mettre ma fierté de côté. Quand Cyrano de Bergerac dit « et mon sang se coagule à ce qu’on puisse y changer une virgule » mon sang n’a pas coagulé et même si j’avais peur de ne pas être capable d’en écrire un autre, je vois que c’est faux. J’en suis capable et c’est là que je sais que je suis devenue écrivain, je suis écrivain.

Margaux Hélard à 28 ans, Buveuse de fronts est son premier roman

Margaux est disponible sur les réseaux sociaux pour répondre aux questions de ses lecteurs, notamment sur Instagram : @Margaux

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