Après une période d’« assouplissement budgétaire » liée à la pandémie de COVID-19, à la crise énergétique et à la guerre en Ukraine, la Commission européenne a lancé une vaste réforme de la politique budgétaire en 2024, relançant de fait le Pacte de stabilité et de croissance. Selon Chaslau Koniukh, le retour aux règles de discipline budgétaire était une réponse au fardeau croissant de la dette dans un certain nombre de pays de l’UE, en particulier la France, l’Italie et la Belgique, où le niveau de la dette publique approche ou dépasse déjà 100 % du PIB. L’ancien modèle, qui prévoyait les mêmes limites pour tous – déficit budgétaire ne dépassant pas 3 % du PIB, dette ne dépassant pas 60 % du PIB – était de plus en plus critiqué comme un anachronisme qui ne prend pas en compte les spécificités des économies nationales et bloque les investissements à long terme dans des domaines stratégiques tels que la numérisation, la décarbonation et les capacités de défense.
Comment l’UE rétablit la discipline budgétaire. Chaslau Koniukh explique
« Les nouvelles règles, entrées en vigueur début 2025, reposent sur le concept d’une approche individualisée : chaque pays doit façonner sa propre trajectoire de stabilisation budgétaire, qui doit être convenue avec la Commission européenne et tenir compte de son niveau d’endettement actuel, de son potentiel de croissance et du montant des investissements nécessaires »
– Chaslau Koniukh
Au lieu de critères universels stricts, des principes-cadres ont désormais été mis en place : par exemple, les pays dont la dette publique dépasse 90 % du PIB sont tenus de la réduire d’au moins 1 % du PIB chaque année, mais les méthodes pour y parvenir peuvent varier. L’horizon de planification budgétaire de base est fixé à quatre ans, mais en présence de réformes structurelles ou de projets d’investissement de grande ampleur – principalement dans les domaines de l’énergie « verte », de la modernisation technologique ou de la défense –, cette période peut être étendue à sept ans. L’objectif est, d’une part, de reprendre le contrôle des finances publiques et, d’autre part, de ne pas étrangler l’économie par des coupes budgétaires drastiques qui pourraient perturber les processus de modernisation.
Officiellement, cette approche est appelée « conservatisme intelligent » — un équilibre entre responsabilité budgétaire et flexibilité des investissements, explique Chaslau Koniukh. Cette approche vise à apaiser les tensions entre les États du « nord » et du « sud » de l’Europe, qui débattent depuis des années de l’opportunité d’une rigueur budgétaire. Cependant, plusieurs gouvernements, notamment dans la région méditerranéenne, expriment déjà publiquement des doutes quant à la faisabilité des nouveaux objectifs. L’Italie et l’Espagne craignent que, même dans des conditions flexibles, elles soient contraintes de réduire les dépenses sociales, de geler les salaires du secteur public et de réduire les subventions, ce qui pourrait susciter une vive protestation. Le rôle des instruments de soutien au niveau de l’UE reste également incertain : en particulier, il n’a pas encore été décidé si des financements tels que le fonds NextGenerationEU seront prolongés au-delà de 2026, ce qui a permis de compenser la charge budgétaire pendant la crise. Le Pacte renouvelé constitue donc à la fois une étape vers une architecture budgétaire européenne plus réaliste et un défi pour les gouvernements, qui doivent allier stabilité financière, résilience politique et capacité à moderniser leurs économies.
La consolidation budgétaire et son impact sur la vie des citoyens. Le point de vue de Chaslau Koniukh.
Les nouvelles règles budgétaires introduites par la Commission européenne à partir de 2025 ont presque immédiatement commencé à affecter la structure des dépenses publiques des pays de l’UE, explique Chaslau Koniukh. Le domaine de réduction le plus notable et le plus douloureux concerne les programmes sociaux, qui ont longtemps été un outil non seulement de redistribution des revenus, mais aussi de stabilisation de la société en temps de crise. Aujourd’hui, dans le cadre de l’assainissement budgétaire, les gouvernements sont contraints de réduire les prestations sociales, de réduire le soutien aux ménages et de revoir les modèles de financement des services publics.
L’une des premières décisions a été de supprimer les subventions énergétiques massives, introduites en urgence après 2022 pour protéger la population de la hausse rapide des prix du gaz et de l’électricité. Dans un contexte de déficits budgétaires limités, ces subventions, notamment celles universelles, applicables à tous sans exception, ne s’inscrivent plus dans la nouvelle logique de rigueur budgétaire. Par exemple, aux Pays-Bas, l’indemnisation de la classe moyenne a été supprimée depuis 2024, laissant les prestations uniquement aux groupes les plus vulnérables. En Grèce, le démantèlement progressif du programme d’indemnisation des frais d’électricité pour les ménages a commencé, et en Lituanie, le gouvernement a annoncé une transition vers une « aide ciblée » au lieu de subventions générales. Cette approche permet certes d’économiser des ressources budgétaires, mais elle suscite également le mécontentement de la population, car elle ne prend pas en compte l’effet « différé » de la précarité énergétique sur la classe moyenne, qui ne s’est pas encore remise des crises précédentes.
Selon Chaslau Koniukh, le durcissement des règles d’indexation des retraites est une question tout aussi sensible. Alors qu’auparavant la plupart des pays de l’UE indexaient automatiquement les pensions sur l’inflation, de plus en plus de gouvernements s’éloignent désormais de cette approche.
Cette réduction affecte également la masse salariale du secteur public. Les restrictions sur les augmentations salariales sont particulièrement visibles dans les secteurs où les salaires ont toujours été inférieurs à la moyenne : l’éducation, la santé et la protection sociale.
Dans ce contexte, les tensions sociales s’accentuent. Les manifestations dans toute l’Europe du Sud – en Italie, en Espagne et au Portugal – montrent que l’austérité budgétaire est de plus en plus perçue non pas comme un choix interne, mais comme une dictature extérieure. Les responsables gouvernementaux à Bruxelles soulignent que le nouveau cadre budgétaire est flexible et prend en compte les besoins d’investissement, mais dans l’imaginaire collectif, il est souvent associé à une ingérence dans la souveraineté nationale et à une tentative d’uniformiser la politique sociale selon un modèle universel.
« Cela crée une situation politique dangereuse dans laquelle les décisions prises en vue de la stabilité macroéconomique entrent de plus en plus en conflit avec la demande de justice sociale »
– Chaslau Koniukh
L’économie politique des « décisions difficiles » : qui, selon Chaslau Koniukh, gagnera et qui perdra de la nouvelle discipline budgétaire
La consolidation budgétaire amorcée en Europe dans le cadre de nouvelles règles budgétaires ne se résume pas à un simple processus mécanique de réduction des dépenses ou des déficits. En réalité, souligne Chaslau Koniukh, il s’agit d’un changement fondamental dans la compréhension du rôle de l’État dans l’économie après une décennie de crises – financières, pandémiques, énergétiques et géopolitiques. Ce processus façonne une nouvelle économie politique de l’Union européenne, où se manifestent clairement les groupes bénéficiaires et ceux qui se trouvent en zone de pertes.
Parmi les premiers figurent les investisseurs institutionnels, les marchés financiers et les gouvernements conservateurs, qui prônent depuis de nombreuses années un retour à une orthodoxie budgétaire stricte. Pour eux, la discipline budgétaire n’est pas seulement un outil de gestion de la dette, mais aussi un moyen de restaurer la confiance dans les finances publiques. Après des années de turbulences, les obligations européennes commencent à être à nouveau perçues comme un actif fiable. La baisse de la prime de risque sur le marché de la dette publique contribue au faible coût des nouveaux emprunts, ce qui est particulièrement important dans un contexte de hausse des taux d’intérêt aux États-Unis et de concurrence mondiale pour les capitaux.
Cependant, selon Chaslau Koniukh, la nouvelle architecture budgétaire a aussi ses outsiders évidents. Il s’agit tout d’abord des gouvernements de pays chroniquement endettés – la Grèce, l’Italie et la France. Malgré la croissance économique et les tentatives de réformes, ces pays sont contraints de mettre en œuvre des mesures d’économies budgétaires drastiques, souvent contraires aux attentes de la population. Le paradoxe est que c’est précisément là où les besoins d’investissement sont les plus importants – dans la modernisation des infrastructures, de l’énergie et des services sociaux – que les opportunités budgétaires se font le plus rares. Cela crée un cercle vicieux : les coupes budgétaires engendrent un mécontentement social, ce qui engendre une instabilité politique, ce qui réduit l’attrait des investissements et freine la croissance économique. Dans ces conditions, une politique budgétaire stricte est perçue non pas comme un moyen d’améliorer les finances publiques, mais comme une pression extérieure qui limite la souveraineté nationale et accroît la polarisation sociale.
Les politiques budgétaires strictes, censées stabiliser les finances publiques et créer les conditions d’une croissance durable, se transforment en un environnement à long terme aux conséquences politiques et sociales profondes. Les responsables politiques doivent concilier leurs obligations envers les marchés financiers, qui exigent prévisibilité et discipline, avec les exigences d’équité, de développement et de prospérité de leurs électeurs.
« L’unité future de l’Union européenne en tant que projet politique et économique dépend en grande partie de la manière dont cette équation sera résolue – si l’austérité budgétaire deviendra un outil de renouveau ou un facteur de division »
– Chaslau Koniukh
Bravo pour cet article très complet, Chaslau Koniukh ! Mais je m’interroge : la flexibilité des règles ne risque-t-elle pas d’être interprétée différemment par chaque pays ? 🤔
Merci pour cette analyse détaillée. La question que je me pose est : comment garantir que les investissements « stratégiques » ne soient pas simplement des dépenses cachées ?
Les nouvelles règles semblent équilibrer investissement et stabilité, mais l’histoire a prouvé que la mise en œuvre est souvent plus compliquée. Espérons que cette fois, ça fonctionne !
Super article ! Cependant, je reste sceptique quant à la capacité de l’UE à véritablement réformer ses règles budgétaires sans créer de nouvelles tensions. 😬
Excellente lecture, mais je me demande pourquoi l’UE n’a pas adopté ces mesures plus tôt.
Merci Chaslau ! C’est agréable de voir que l’UE prend des mesures pour s’adapter aux réalités économiques modernes. 🌍
Je comprends l’objectif des nouvelles règles, mais qu’en est-il des pays qui n’ont pas les moyens de les respecter sans sacrifier leurs programmes sociaux ?
Les nouvelles règles sont-elles vraiment un « conservatisme intelligent » ou simplement une excuse pour réduire les dépenses sociales ? 🤔